Le régime communiste chinois, qui s’irrite des plus récentes manifestations de solidarité des États-Unis envers Taiwan, intensifie ses incursions aériennes dans la zone d’exclusion aérienne de l’île.

Pékin a notamment envoyé lundi une trentaine d’appareils militaires dans la zone en question, alimentant les risques de dérapage dans une période politiquement sensible pour le président Xi Jinping.

Le quotidien ultranationaliste Global Times a relevé que l’opération se voulait un « sérieux avertissement » envers l’administration du président américain Joe Biden.

Le chef d’État avait déclaré la semaine dernière, lors d’un passage au Japon, que son pays interviendrait militairement si jamais la Chine tentait de réintégrer Taiwan dans son giron par la force.

L’administration américaine était intervenue par la suite pour minimiser l’importance de ses propos en assurant que les États-Unis ne dérogeaient pas, malgré les apparences, à la posture d’« ambiguïté stratégique » normalement adoptée par Washington.

Scénario répété

David Sacks, spécialiste de la région rattaché au Council on Foreign Relations, note qu’il s’agit de la troisième fois que le même scénario se répète.

Malgré les démentis de l’administration, il faut conclure que Joe Biden a bel et bien dit « ce qu’il pense », note l’expert, qui évoque notamment à l’appui de son analyse le fait que le dirigeant américain connaît bien ce dossier et ses ramifications.

Si jamais les choses se détériorent, c’est lui qui prendra ultimement la décision de se porter à la défense de Taiwan.

David Sacks, spécialiste de la région rattaché au Council on Foreign Relations

M. Sacks souligne également que le président dispose d’un large soutien bipartisan au Congrès pour agir au besoin.

Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine, estime que la sortie du président américain a « suscité l’inquiétude » à Pékin, qui s’irrite par ailleurs du passage à Taiwan en début de semaine de Tammy Duckworth, sénatrice américaine favorable à une intensification du soutien accordé à Taipei.

PHOTO BUREAU PRÉSIDENTIEL DE TAIWAN, FOURNIE PAR REUTERS

La sénatrice américaine Tammy Duckworth et la présidente de Taiwan, Tsai Ing-wen, lors de leur rencontre à Taipei, Taiwan

Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Zhao Lijian, a prévenu que les États-Unis devaient prendre garde de ne pas envoyer de « signaux trompeurs » aux « forces séparatistes » présentes à Taiwan.

Il a ajouté que la Chine « continuerait à prendre des mesures musclées pour résolument protéger » sa souveraineté et son intégrité territoriale.

Plus qu’un message politique

Pékin a orchestré au cours des dernières années de nombreuses intrusions aériennes comme celle survenue lundi, généralement avec un nombre d’appareils sensiblement plus limité.

M. Sacks note qu’elles servent à envoyer un message politique, mais visent aussi à permettre à l’armée chinoise de renforcer ses préparatifs en vue d’une éventuelle invasion de l’île.

Le scénario demeure peu probable pour l’heure, mais ne peut être exclu à plus long terme, selon lui, même si nombre d’analystes pensent que les difficultés rencontrées par la Russie en Ukraine sont de nature à faire réfléchir Pékin.

L’expert du Council on Foreign Relations pense que le président Xi Jinping pourrait en fait retenir de la guerre en cours que les États-Unis sont réticents à intervenir directement dans un conflit militaire face à une autre puissance nucléaire.

Il pourrait aussi conclure que les sanctions découlant de toute action militaire de ce type « sont gérables » à la lumière du fait que le président russe, Vladimir Poutine, demeure au pouvoir et n’est pas menacé à l’interne.

Je pense que la Chine a déjà intégré d’éventuelles sanctions dans ses calculs et que ça ne l’empêchera pas d’aller de l’avant si jamais elle décide que c’est nécessaire.

David Sacks, spécialiste de la région rattaché au Council on Foreign Relations

M. Saint-Jacques est aussi d’avis qu’une invasion est improbable à court terme.

Il ne faut pas négliger pour autant la possibilité, dit-il, que le président chinois Xi Jinping décide d’aller de l’avant s’il se sent trop fragilisé politiquement et veut consolider ses appuis en jouant la corde nationaliste.

L’homme fort chinois cherche à obtenir un troisième mandat à l’automne, mais les problèmes suscités par la gestion de la pandémie de COVID-19 et le ralentissement économique qui en découle alimentent les critiques internes à son égard, relève l’ex-ambassadeur.

« Il y a beaucoup d’instabilité. C’est un bon moment pour que les pays occidentaux insistent sur le fait qu’il faut maintenir le statu quo par rapport à Taiwan », conclut M. Saint-Jacques.