L’assassinat de l’ancien premier ministre Shinzo Abe avec une arme à feu a surpris et choqué le Japon, qui possède l’une des législations les plus strictes au monde en matière de contrôle des armes. Explications.

Une arme artisanale

Tout porte à croire que Shinzo Abe a été tué par une arme artisanale fabriquée par le principal suspect arrêté par la police. « Nous avons déterminé que [l’arme utilisée] était clairement d’apparence artisanale, bien qu’une analyse soit en cours », a précisé un policier à l’Agence France-Presse. Le suspect a été photographié sur les lieux tenant un grand objet carré noir qui semblait avoir deux barillets. Des agents en tenue de protection ont de leur côté commencé à fouiller son domicile en fin d’après-midi et ont confisqué « plusieurs objets ressemblant à des armes à feu fabriquées artisanalement ». « Il [le suspect] a été obligé de se construire une arme de A à Z et ça ressemble à des armes qu’on fabrique en prison », note Francis Langlois, professeur d’histoire au cégep de Trois-Rivières et membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’UQAM.

PHOTO THE ASAHI SHIMBUN, VIA REUTERS

Policer tentant de neutraliser le suspect du meurtre de l’ancien premier ministre Shinzo Abe, vendredi, à Nara

Shinzo Abe a été assassiné vendredi par balle par un assaillant qui a ouvert le feu sur lui en plein rassemblement électoral à Nara, dans l’ouest du Japon. Arrêté pour le meurtre, le suspect, un chômeur de 41 ans, Tetsuya Yamagami, a avoué avoir commis le crime et indiqué avoir utilisé une arme artisanale, selon un haut responsable de la police de la région de Nara. L’homme arrêté « a déclaré avoir gardé rancune à une certaine organisation et il a avoué avoir commis le crime parce qu’il croyait que l’ancien premier ministre Abe lui était lié », a déclaré ce policier à des journalistes, en refusant de donner davantage de détails.

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Tetsuya Yamagami, suspect du meurtre de l’ancien premier ministre Shinzo Abe, a été arrêté sur place. Dans le coin inférieur droit de la photo, l’arme artisanale qu’il aurait utilisée.

Les armes proscrites au Japon

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L’ancien premier ministre du Japon Shinzo Abe, en 2020

Quiconque souhaite posséder une arme à feu au Japon doit se soumettre à un rigoureux processus de vérification comprenant plusieurs étapes. Chaque candidat doit d’abord avoir un casier judiciaire vierge. Pour faire l’acquisition d’une arme, les Japonais doivent notamment se soumettre à un examen écrit, fournir un certificat médical ainsi qu’une évaluation psychologique, subir un test de dépistage de drogue et réussir un test de tir. Les seules armes autorisées pour les civils au Japon sont les fusils de chasse et les carabines à air comprimé. Détenir une arme de poing peut entraîner un séjour en prison.

Très peu d’armes en circulation

Selon Gunpolicy.org, de l’Université de Sydney, en Australie, le Japon est l’un des pays où l’on trouve le moins d’armes à feu au monde. Un peu plus de 310 000 armes sont en circulation pour une population de près de 126 millions de personnes. En revanche, le nombre d’armes à feu détenues par des civils aux États-Unis – entre 265 et 393 millions – est très largement supérieur à la population du Japon. Toujours selon Gunpolicy.org, on trouverait au Canada 12,7 millions d’armes à feu, soit 34,70 armes par tranche de 100 habitants.

Très peu de morts

L’équation est simple : avec aussi peu d’armes en circulation, le nombre de morts par arme à feu au Japon est très faible. Seulement neuf morts ont été enregistrées en 2018, contrairement à 39 740 aux États-Unis. « Le Japon est une société extraordinairement sûre, rappelle Francis Langlois. Les armes à feu, ce n’est pas du tout dans la culture des Japonais. » En comparaison, 695 morts par arme à feu sont survenues au Canada en 2018.

Un héritage… des États-Unis

Ironiquement, les lois japonaises en matière de contrôle des armes ont été introduites par les États-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, signale M. Langlois. « Les Américains voulaient désarmer le Japon et ils ont imposé une nouvelle constitution qui interdisait les armes à feu. C’est tout à fait ironique », affirme l’expert, qui a notamment enseigné au Japon. Le professeur s’attend par ailleurs à ce que la sécurité autour des politiciens japonais soit renforcée après l’assassinat de Shinzo Abe.

Quelques tueries marquantes au Japon

Incendies criminels meurtriers

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Des personnes se recueillent près d’une clinique psychiatrique à Osaka, le 19 décembre 2021, quelques jours après qu’un sexagénaire y a déclenché un incendie meurtrier.

Le 17 décembre 2021, un sexagénaire déclenche un incendie dans une clinique psychiatrique à Osaka, dont il était un ancien patient, causant la mort de 25 personnes. Le pays avait déjà été bouleversé par l’incendie criminel d’un studio d’animation à Kyoto le 18 juillet 2019, dans lequel 36 personnes avaient péri et 33 autres avaient été blessées.

Massacre de personnes handicapées

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Membres des services d’urgences déployés dans une maison spécialisée accueillant des personnes handicapées à Sagamihara, après une attaque en juillet 2016

Le 26 juillet 2016, un homme de 30 ans s’introduit en pleine nuit dans une maison spécialisée accueillant des personnes handicapées à Sagamihara, dans la banlieue ouest de Tokyo. Cet ancien employé passe de chambre en chambre pour poignarder les résidants, faisant 19 morts et 26 blessés, dont la moitié grièvement.

Passants poignardés à Tokyo

En juin 2008, un homme fonce en plein jour sur des passants avec un camion à Akihabara, quartier tokyoïte célèbre pour ses boutiques d’électronique, avant de sortir du véhicule et de poignarder des gens au hasard dans la foule, avec une lame à double tranchant. Sept personnes sont tuées et dix blessées.

Assassinat du maire de Nagasaki

En avril 2007, le maire de Nagasaki, Iccho Ito, pacifiste convaincu, est tué par balle en pleine rue alors qu’il faisait campagne pour sa réélection.

Attaque au gaz sarin dans le métro

PHOTO KIMIMASA MAYAMA, ARCHIVES REUTERS

Membres de l’unité spéciale de contrôle chimique sortant d’une entrée de station de métro à Tokyo, le 20 mars 1995

Le matin du 20 mars 1995, plusieurs membres de la secte Aum déposent dans des voitures bondées du métro de Tokyo des sacs de gaz sarin, qu’ils crèvent à l’aide de pointes de parapluie aiguisées. L’attaque provoque la mort de 13 personnes et l’intoxication de plus de 6300 autres.

Avec l’Agence France-Presse