La haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, ne garantit pas, malgré ses promesses passées, qu’elle publiera avant la fin de son mandat un rapport très attendu sur la répression des Ouïghours du Xinjiang par la Chine.

Lors d’une conférence de presse tenue à Genève jeudi, elle s’est bornée à dire que son équipe travaillait « très fort » pour y parvenir et ne se laisserait pas influencer par les pressions venant de toute part.

Ses tergiversations ont été accueillies avec consternation par Rayhan Asat, une avocate d’origine ouïghoure établie aux États-Unis qui tente de faire libérer son frère Ekpar, détenu « arbitraitement » depuis des années par les autorités chinoises.

« C’est très décourageant et presque incroyable d’entendre une telle réponse venant d’une personne dont la responsabilité ultime est de répondre aux atrocités de masse », a souligné en entrevue Mme Asat.

Dire qu’elle tente très fort [de publier le rapport] n’est pas une façon acceptable de répondre aux familles. La pression qu’elle subit n’est même pas comparable à celle que vivent les Ouïghours qui dénoncent la situation au Xinjiang.

Rayhan Asat, avocate d’origine ouïghoure

La haute-commissaire a entrepris dès 2018 d’enquêter sur le traitement réservé à cette minorité musulmane par les autorités chinoises.

PHOTO FABRICE COFFRINI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Michelle Bachelet, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme

Plusieurs organisations de défense des droits de la personne accusent Pékin d’avoir commis des crimes contre l’humanité en arrêtant et en détenant arbitrairement près d’un million de Ouïghours dans des camps de « déradicalisation ». Des rapports font état de torture, de travail forcé et de pratiques de stérilisation qui ont été dénoncées par plusieurs gouvernements occidentaux.

Le gouvernement chinois affirme pour sa part que les établissements en question sont des centres de formation professionnelle fréquentés librement et soutient que les allégations d’abus résultent d’une campagne visant à ternir son image.

La volonté de la haute-commissaire d’enquêter à ce sujet a suscité une levée de boucliers à Pékin, qui a multiplié les interventions pour retarder ou carrément bloquer la publication du rapport.

Sophie Richardson, spécialiste de la Chine rattachée à Human Rights Watch, note que ces pressions étaient prévisibles et ne justifient pas les retards observés dans la production du document.

« Chaque jour qui passe sans qu’il soit publié prolonge l’agonie des Ouïghours et conforte le gouvernement chinois dans son intransigeance », souligne Mme Richardson, qui peine à comprendre l’hésitation de Mme Bachelet.

Le rapport inciterait à l’action

Peter Irwin, du Uyghur Human Rights Project, estime que la haute-commissaire semble être convaincue qu’elle peut obtenir plus de résultats concrets auprès de la Chine en tentant de convaincre les autorités du pays de corriger le tir plutôt qu’en dénonçant haut et fort leur action.

Cette approche ne va pas aider, elle ne fera qu’empirer les choses […]. Les autorités chinoises ne sont pas du tout disposées à revoir leurs façons de faire.

Peter Irwin, porte-parole du Uyghur Human Rights Project

La sortie du rapport, si elle finit par se concrétiser, est importante puisqu’elle pourrait donner plus de latitude à des pays membres de l’ONU s’étant montrés réticents jusqu’à maintenant à dénoncer la situation au Xinjiang, note-t-il.

« Ça leur donnerait un prétexte politique pour critiquer et agir », relève le porte-parole, qui dénonce le terrible impact sur la communauté ouïghoure de la répression chinoise.

PHOTO GREG BAKER, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Installation soupçonnée d’être un camp de « rééducation » pour les Ouïghours, près de Hotan, dans la province du Xinjiang

Michelle Bachelet a été très critiquée au printemps après avoir réalisé un voyage en Chine qui était, de l’avis de nombreux militants, étroitement contrôlé par les autorités locales.

Elle-même a plaidé que la visite « n’était pas une enquête », mais plutôt une occasion pour discuter directement avec nombre de hauts responsables et jeter les bases d’interactions « significatives » futures sur la question des droits de la personne.

Dans une déclaration publiée à son retour, elle a évoqué la situation au Xinjiang et exprimé ses « préoccupations » par rapport à certaines méthodes utilisées par les autorités chinoises contre la minorité musulmane, sans pour autant les dénoncer.

Rayhan Asat pense que la Chine va crier victoire si jamais le rapport sur le traitement des Ouïghours ne voit pas le jour ou élude la gravité de la situation.

Un tel scénario contribuerait à créer une culture de l’impunité susceptible d’alimenter de nouvelles exactions, prévient l’avocate, qui se bat depuis des années pour obtenir justice pour son frère.

L’homme de 35 ans a été arrêté arbitrairement à son retour d’un programme d’échange aux États-Unis en 2016 et condamné à 15 ans de prison sans raison valable, dit Mme Asat, qui presse Michelle Bachelet de ne pas abandonner les victimes ouïghoures.

« Si elle le veut, elle le peut », conclut l’avocate en parlant de la publication du rapport.