Un nouvel écusson de Winnie l’ourson fait fureur à Taïwan. Quand guerre et humour se rencontrent…

Un écusson avec Winnie l’ourson ? Trop mignon !

Ne parlez pas trop vite. L’image est assez violente. On peut y voir un ours noir de Taïwan décocher un solide crochet de droite à la figure du pauvre Winnie, qui en perd presque ses dents. Sous l’image, on peut lire le mot « scramble » (battez-vous !). Et puis en plus petit : « Fight for freedom » (Combattez pour la liberté).

Pauvre Winnie. Quelle injustice !

Légitime défense, diraient les Taïwanais ! Il faut savoir que Winnie l’ourson est censé représenter le président chinois Xi Jinping. Et que ce coup de poing symbolise la résistance de ce petit pays face à la menace de Pékin qui se fait de plus en plus pressante.

Xi Jinping en Winnie l’ourson ? Mais où avez-vous pêché ça ?

La ressemblance est frappante, non ? Sans blague, cela fait au moins 10 ans que l’on compare le président chinois au personnage pour enfants créé par A. A. Milne. Depuis, l’internet s’en donne à cœur joie, à coups de mèmes caricaturaux, au grand déplaisir de M. Xi. À tel point que les références à l’ourson jaune ont été censurées sur les réseaux sociaux chinois ainsi qu’au cinéma, où le film Christopher Robin a été interdit en 2018 !

Intense. Mais au fait, pourquoi parler de cet écusson aujourd’hui ? Là ? Maintenant ?

Parce qu’il fait fureur à Taïwan ! La semaine dernière, un pilote de l’armée de l’air taïwanaise est apparu sur une photo avec cet écusson sur la manche. Depuis, c’est la folie. Un utilisateur de Facebook qui le vend en ligne a rapporté avoir reçu quelque 1000 commandes depuis que l’image est devenue virale. Commercialisé pour 200 dollars taïwanais (6 dollars américains) par l’entreprise Wings Fan Goods, établie à Taoyuan (nord), le produit serait même en rupture de stock et il faudrait attendre plus d’un mois pour en recevoir de nouveaux exemplaires.

PHOTO FOURNIE PAR LE MINISTÈRE DE LA DÉFENSE TAÏWANAIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

C’est cette photo d’un pilote taïwanais arborant l’écusson de Winnie qui a rendu l’insigne aussi populaire, la photo étant devenue virale.

Tout ça pour un écusson ?

Disons que le contexte s’y prête. Cette semaine, suivant une visite de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen aux États-Unis, Pékin a effectué de grosses manœuvres militaires autour de Taïwan, déployant des dizaines de navires de guerre et d’avions de chasse. La Chine revendique l’ancienne Formose et menace de l’annexer tôt ou tard, même si cette île de 23 millions d’habitants possède son propre gouvernement. Un scénario inquiétant pour les pays occidentaux, qui dépendent largement des semi-conducteurs « made in Taiwan », qui représentent 62 % de la production mondiale et 90 % des puces de dernière génération, ce qui en fait un incontournable de la nouvelle économie numérique.

Oui, mais enfin, ces oursons, ce n’est pas sérieux…

À ce stade-ci, toute forme de propagande est bonne à prendre pour les Taïwanais. C’était d’ailleurs le but recherché par le créateur de l’écusson. Expliquant son geste dans les médias et sur le net, Alex Hsu a dit vouloir « booster le moral » des troupes, alors que la Chine ne cesse de resserrer son emprise. « Les communistes viennent ici chaque jour, ajoute-t-il, et je veux tellement leur foutre sur la gueule. 24 heures par jour, 7 jours par semaine, nous serons là pour les tapocher », écrit-il par ailleurs.

PHOTO CARLOS GARCIA RAWLINS, REUTERS

Alex Hsu, dans son atelier où il fabrique les écussons de Winnie

Ce monsieur ne manque pas d’humour…

Et c’est très bien comme ça. Comme l’écrivait Sigmund Freud en 1905, l’humour est « la plus haute des réalisations de défense », car il permet de défier le réel. C’est aussi la meilleure forme de propagande de guerre, affirme Tim Blackmore, spécialiste de la question à l’Université de Western Ontario, à London. « L’idée, c’est que les gens en parlent. Qu’ils diffusent l’idée qui est attachée à l’image. Que cette image crée un sentiment d’appartenance à une communauté. Or, plus cette image est drôle et familière, plus il y a des chances pour qu’elle se répande à grande échelle. » En ce sens, dit-il, la propagande de Winnie l’ourson est « juste parfaite ».

Eh bien voilà ! La Chine doit trembler maintenant !

Pas vraiment, non. Même après la fin officielle de ses essais militaires, croiseurs et chasseurs chinois continuaient de rôder autour de l’île. Clairement, le gros ours noir ne fait pas peur au petit ours jaune gaga du miel. Des internautes chinois se sont d’ailleurs fait une joie de ridiculiser la propagande de Taïwan. « Pendant que la Chine continentale construit des navires de guerre, Taïwan construit des patches pour les épaules, écrit l’un d’eux sur le site Weibo. Je suis très soulagé… »

Sources : The Independent, Evening Standard, Agence France-Presse, The Guardian, Firstpost, France 24, Psychologies, Smithsonian Magazine