(Paris) Pourquoi maintenant, pour obtenir quoi ? La portée de l’appel entre Volodymyr Zelensky et Xi Jinping reste mystérieuse, mais leur conversation mercredi porte en germe le danger pour Kyiv et ses alliés de passer pour des va-t’en guerre refusant la paix promue par Pékin.

Cet appel téléphonique était attendu de longue date entre le président ukrainien qui résiste à l’invasion russe avec le soutien occidental, et le président chinois, allié objectif de Moscou, qui se veut l’architecte d’un nouvel ordre mondial.

S’il n’avait pas encore eu lieu, c’est que le président russe Vladimir Poutine avait prévenu Xi qu’il n’était « pas prêt à négocier », estimait la semaine dernière la chercheuse et diplomate singapourienne Chan Heng Chee lors d’une conférence du Carnegie Endowment for Peace.

D’après Pékin, Kyiv est à l’origine de l’appel bien qu’il soit « impossible à ce stade que la Chine puisse être considérée comme un médiateur crédible », relevait le chercheur américain Dan Baer lors de la même conférence.

Mais « l’Ukraine a besoin de changer drastiquement les dynamiques politiques et militaires du conflit », estimait Can Kasapoglu, du Hudson Institute, peu avant l’entretien entre les deux chefs d’État. « Le statu quo est intenable. »

« Statu quo intenable »

Car les lignes ukrainiennes ne tiennent que grâce au soutien militaire occidental, qui fournit matériel, armes et munitions, à un rythme déjà inférieur aux besoins de Kyiv.

Or, l’adhésion à la cause ukrainienne risque de faiblir. La part des Américains estimant que l’aide à l’Ukraine est trop importante ne fait qu’augmenter, passant de 7 % en mars 2022 à 26 % en janvier 2023, selon le Pew Research Center.

« Cette baisse du soutien populaire va probablement s’accentuer dans les prochains mois, quelle que soit l’évolution du conflit », estime la chercheuse Marlène Laruelle, de l’Université George Washington.

Car « si la contre-offensive ukrainienne est un succès, les appels à des négociations diplomatiques vont augmenter, tandis que si elle échoue, les appels à faire des concessions pour obtenir un cessez-le-feu vont croître », écrit-elle dans un rapport de l’observatoire franco-russe.

Kyiv annonce depuis des semaines cette contre-offensive majeure. Mais, quelle que soit sa capacité à percer les lignes ennemies sur le champ de bataille, « l’Ukraine ne pourra consolider son territoire que par voie diplomatique », estime Can Kasapoglu.

Intégrité territoriale

L’offre de paix chinoise repose sur son plan en 12 points publié en février. Le contenu de ce qu’a proposé Xi à Zelensky cette semaine « ne peut pas être très différent », estime Jean-François Di Meglio, chercheur français installé à Taïwan, dirigeant du Asia Centre.

Parmi eux, « deux principes » sont essentiels pour Bertrand Badie, professeur à Sciences Po à Paris : « celui de l’intégrité territoriale, qui ne peut que satisfaire l’Ukraine, et le principe de la sécurité collective » qui peut offrir à Moscou une porte de sortie.

Il s’agit là de « définir un ordre qui conduira Moscou à dire : “vous voyez, nous avons bien fait de taper du poing sur la table, nous sommes arrivés à une situation plus favorable” », a-t-il déclaré sur LCI. Mais pour l’intégrité territoriale, « il n’y a pas beaucoup de négociation possible. Simplement, il y a la question de la Crimée qui est extraordinairement complexe ».

Volodymyr Zelensky a d’ailleurs mis en avant après l’échange téléphonique que « l’Ukraine et la Chine croient toutes deux à la force de la souveraineté des nations et l’intégrité territoriale ».

Mais « ça veut dire quoi, l’intégrité de l’Ukraine pour les Chinois ? On n’en sait rien ! », répond M. Di Meglio. « Quelles frontières ? Est-ce qu’ils prévoient un référendum sur le Donbass ? », ce qui pourrait être inacceptable pour Zelensky.

Quoi qu’il en soit, « la Chine entre vraiment dans le grand jeu diplomatique, c’est la poursuite de leur agenda de nouvelle gouvernance mondiale », analyse-t-il.

« Qu’il soit vrai ou faux, le message chinois, c’est que quiconque de bonne volonté voudrait travailler sur un plan de paix sera le bienvenu et que la Chine sera au rendez-vous », ajoute-t-il.

« Ils ne veulent pas faire la paix tout seuls », estime Mme Chan. « Il y aura d’autres acteurs » dans le processus.

« L’énorme piège »

Une chose semble sûre : le danger pour Kyiv et l’Occident d’endosser le mauvais rôle, celui des jusqu’au-boutistes. « C’est l’énorme piège », assure M. Di Meglio, alors qu’une partie du monde renvoie dos à dos Kyiv et Moscou, ou juge, comme le président brésilien Lula, que Washington « encourage la guerre ».

La Chine pourrait commencer par proposer un cessez-le-feu. Mais « ce n’est pas quelque chose que souhaite l’Ukraine maintenant parce la Crimée, le Donbass et d’autres territoires restent occupés », estimait lors du colloque de Carnegie le chercheur américain Yawei Liu.

Washington a déjà prévenu mercredi que « s’il doit y avoir une paix négociée, elle doit survenir quand le président Zelensky y est prêt […] et quand il peut le faire dans une position de force ».

Mais les Chinois peuvent aussi avoir un intérêt à s’impliquer vraiment dans la construction de la paix : « imaginez que l’initiative chinoise fonctionne », élabore M. Di Meglio. « Cela leur donne une force incomparable sur le dossier taïwanais. »