Son père et sa tante ont été renversés par des coups d’État. Paetongtarn Shinawatra sauvera-t-elle l’honneur de la famille ?

Sauver l’honneur ? Mais comment ?

En remportant les élections législatives, tout simplement. Cinquante-deux millions de Thaïlandais sont appelés aux urnes dimanche, pour ce qui semble être l’autre scrutin important du week-end, après celui qui se déroule en Turquie.

Qui est sur le ring ?

D’un côté, les « progressistes », et de l’autre, les partis conservateurs affiliés à l’armée. Dans le camp progressiste, on trouve le parti Pheu Thai de Paetongtarn Shinawatra et les réformistes de Move Forward (Aller de l’avant), jeune parti prodémocratie en pleine ascension. Dans l’autre camp, il y a les partis conservateurs Palang Pracharat et Nation thaïe unie, favorables à la junte militaire et à la monarchie. Nation thaïe unie est mené par l’ancien général et commandant en chef de l’armée Prayut Chan-o-cha, premier ministre sortant, au pouvoir depuis 2015.

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Le premier ministre sortant Prayut Chan-o-cha lors d’un évènement de campagne à Bangkok vendredi

Pourquoi est-ce qu’il s’agit d’élections importantes ?

Parce que ce sont les premières élections depuis les mouvements de protestation de 2020, quand des milliers de jeunes Thaïlandais avaient manifesté pour réclamer plus de démocratie et une réforme de la monarchie. Et parce que l’issue du scrutin pourrait avoir des effets à plus large échelle, dans le contexte actuel de rivalité sino-américaine. « Les États-Unis craignent qu’une victoire des partis promilitaires ne favorise un rapprochement entre la Thaïlande et la Chine, ce qui pourrait affaiblir leur position militaro-stratégique dans la région », résume le professeur Manuel Litalien, expert de la Thaïlande, de l’Université de Nipissing à North Bay

Que disent les sondages jusqu’ici ?

Ils sont plutôt favorables au parti Pheu Thai de Mme Shinawatra. À 36 ans, cette héritière est une novice en politique. Mais pour beaucoup de Thaïlandais, son nom de famille suffit à lui donner du prestige.

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Paetongtarn Shinawatra

Justement. Parlez-nous de sa famille.

Le clan Shinawatra fait contrepoids à l’armée depuis plus de 20 ans. Le père de Paetongtarn, Thaksin Shinawatra, milliardaire adoré des classes populaires, a été premier ministre de la Thaïlande de 2001 à 2006. Renversé par un coup d’État en 2006, il vit en exil pour échapper à une condamnation pour corruption qu’il conteste. La tante de Paetongtarn, Yingluck Shinawatra, a été première ministre de 2011 à 2014, avant d’être éjectée par les militaires et de s’exiler à Londres. D’où cette idée de match revanche pour Paetongtarn…

PHOTO MANAN VATSYAYANA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un partisan du Pheu Thai brandit les photos des anciens premiers ministres Thaksin Shinawatra et Yingluck Shinawatra lors d’un rassemblement à Bangkok le 28 avril.

Sa victoire semble acquise, non ?

Minute. Pas si simple. Le Parlement thaïlandais compte 500 sièges à la Chambre des représentants et 250 au Sénat. Mais une majorité à la Chambre des représentants n’est pas suffisante pour l’emporter. La junte a réécrit la nouvelle Constitution ratifiée en 2017, de sorte que les 250 sénateurs – choisis par l’armée – participent aussi au choix du premier ministre. Ce système, jugé défaillant par des organisations de défense des droits de la personne, contraint le parti à obtenir une très large majorité de 376 sièges pour contrecarrer un candidat proche des militaires. Mme Shinawatra devra en outre compter avec la montée du parti Move Forward, particulièrement populaire chez les jeunes, qui gruge des votes à gauche et pourrait l’empêcher d’atteindre son objectif de 310 sièges au total.

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Le chef du parti Move Forward, Pita Limjaroenrat, devant une foule de partisans rassemblés à Bangkok le mois dernier

Enfin, tout dépend des alliances qui se forgent en coulisses. Il faut savoir que tout parti ayant remporté 25 sièges ou plus peut proposer un premier ministre. Le reste se décide au jeu des alliances, qui peut s’étendre sur des semaines, voire des mois. « À partir de là, tout peut arriver. La personne qui va être nommée premier ministre ne sera pas nécessairement celle qui aura eu le plus de votes, mais celle qui aura réussi à faire une coalition gouvernementale », résume Alexandre Veilleux, doctorant en science politique à l’Université de Montréal, tout juste de retour de Thaïlande.

Quelles alliances possibles, alors ?

L’évidence serait que les partis Pheu Thai et Move Forward s’unissent pour former un gouvernement réformiste. Mais cette coalition ne plaira sans doute pas aux militaires, qui pourraient être tentés par un autre coup d’État. Autre scénario, parfois évoqué : une alliance entre Pheu Thai et un parti militaire, ce qui exclurait d’emblée Move Forward. Mme Shinawatra a officiellement rejeté ce scénario. Mais des rumeurs parlent de tractations en coulisses. Bien que contre nature, cette union pourrait être un rempart contre un éventuel coup d’État et un préalable au retour de Thaksin Shinawatra au pays.

Ah… Il est toujours là, lui ?

Sa carrière en politique est sans doute terminée. Mais il a exprimé cette semaine le désir de rentrer au pays pour « s’occuper de ses petits-enfants ». Manuel Litalien suggère pour sa part que cette annonce de grand retour est avant tout destinée à « créer un momentum » électoral en faveur de sa fille. « Je pense que c’est un coup de publicité, conclut-il. Je ne sais pas à quel point c’est sérieux. On le verra en temps et lieu. Mais c’est certain qu’en s’affichant comme ça, il apporte un soutien. C’est comme une façon détournée de mobiliser ses troupes. »

Avec l’Agence France-Presse, TV5 Monde, CNN, Voice of America et Courrier international