(Kinmen et Taipei, Taïwan) Non, il n’y a pas de soldats chinois dans l’île de Taïwan ni de bombes qui tombent sur ses villes, mais la guerre entre l’île autogouvernée et la Chine, elle, est déjà bien commencée sur plusieurs fronts – ceux de l’économie, de la diplomatie et de l’information. Et Montréal s’apprête à devenir un de ses champs de bataille.

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Le temps d’une paix

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

Un char d’assaut abandonné sur une plage de Kinmen, legs des affrontements entre la Chine communiste et Taïwan qui ont duré pendant 40 ans

C’est difficile d’oublier la Chine quand on est dans les îles de Kinmen. Le petit archipel qui appartient à Taïwan se trouve à moins de 5 km de la Chine communiste. À l’extrémité ouest des îles, on peut scruter à l’œil nu la construction de nouvelles tours et d’un aéroport dernier cri à Xiamen, la grande ville chinoise qui se trouve de l’autre côté du détroit de Taïwan.

Mais la vue a déjà été bien différente.

Quand il était enfant, s’il regardait vers l’ouest, c’est une pluie de bombes qui aveuglait Chen Shui-Tsai. À l’époque, Kinmen était la ligne de front de la guerre qui opposait les troupes de Mao Zedong à celles de Tchang Kaï-chek, le leader nationaliste chinois qui s’est enfui à Taïwan en 1949 avec une armée entière, promettant de reconquérir la Chine. Près de 40 000 militaires étaient déployés dans l’île pour faire face à l’Armée de libération du peuple.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

En 1958, le bombardement a duré 44 jours. Sans répit. « On passait nos journées entières dans un bunker. C’était difficile d’aller chercher de la nourriture en ville. On allait à la ferme d’à côté pour déterrer des patates douces », raconte M. Chen, aujourd’hui âgé de 75 ans, assis dans son jardin. Cette année-là, en 44 jours, 4,4 millions de bombes sont tombées sur les îles de 158 km2. Sans que Kinmen se rende.

Et les hostilités ont duré 40 ans. Pendant 20 ans, il a plu des obus sur Kinmen un jour sur deux. Au début, ces bombes étaient armées, mais avec le temps, la charge explosive a été remplacée par de la propagande communiste destinée à convertir les habitants de Kinmen. Des petits papiers à la gloire de Mao qui recouvraient les plages. Il y a eu des défections des deux côtés, mais pas de changement de pouvoir. « Ces petites îles ont combattu cinq guerres contre l’armée communiste », dit fièrement M. Chen, qui, devenu adulte, a rejoint l’armée pour combattre la menace venue de Chine.

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Chen Shui-Tsai, premier maire élu de Kinmen

Sous la loi martiale qui a duré jusque dans les années 1990 à Kinmen, c’était difficile de se trouver un autre travail. On n’avait aucune liberté.

Chen Shui-Tsai, premier maire élu de Kinmen

La guerre comme héritage

La guerre a laissé sa trace partout dans les îles, qui vivent notamment du tourisme chinois et taïwanais lié à l’histoire militaire, tout comme la Normandie attire des touristes occidentaux. On vient y voir un vieux char échoué sur une plage, grugé par le sel, les tunnels creusés pour se déplacer dans l’île pendant les bombardements incessants, le vieux haut-parleur géant qui diffusait des messages anticommunistes, espérant convertir des oreilles en Chine continentale. En souvenir, on repart avec des couteaux haut de gamme faits à partir des restes d’obus ramassés pendant le conflit.

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Souvenir d’antan, ce mur radio a longtemps servi à diffuser de la propagande taïwanaise à l’intention des Chinois vivant en Chine communiste.

Chen Shui-Tsai croit cependant que pour comprendre les îles de Kinmen aujourd’hui, c’est d’abord à la période de paix qui dure depuis 2001 qu’il faut s’attarder, une période qu’il a lui-même façonnée. Élu premier magistrat de Kinmen après la levée de la loi martiale en 1991, Chen Shui-Tsai a fait partie des tractations secrètes pour rebâtir des ponts avec la Chine continentale. « J’ai été parmi les premiers à me rendre en Chine à partir de Kinmen. Je croyais fermement que la meilleure manière d’éviter la guerre, c’était d’avoir des contacts au niveau de la société civile. J’ai poussé fort pour que nous mettions en place un traversier », relate-t-il.

  • Ces obus en acier, lancés sur Kinmen pendant les affrontements entre la Chine communiste et Taïwan, sont aujourd’hui transformés en couteaux.

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    Ces obus en acier, lancés sur Kinmen pendant les affrontements entre la Chine communiste et Taïwan, sont aujourd’hui transformés en couteaux.

  • Couteaux qui sont vendus aux touristes.

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    Couteaux qui sont vendus aux touristes.

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Le succès a été foudroyant. Avant la pandémie, près de 2 millions de Chinois visitaient chaque année Kinmen, pour son histoire militaire, mais aussi parce qu’on y trouve des maisons et des temples traditionnels typiques de la province de Fujian, en Chine, qui ont disparu en Chine communiste. Les Chinois du continent sont aussi friands de la liqueur Kaoliang, principale industrie de Kinmen.

  • La liqueur de Kinmen prisée par les touristes chinois

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    La liqueur de Kinmen prisée par les touristes chinois

  • Les souvenirs à connotation militaire ont la cote à Kinmen.

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    Les souvenirs à connotation militaire ont la cote à Kinmen.

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Les habitants de Kinmen, eux, ont été nombreux à acheter des maisons et à investir dans la région de Xiamen, en plein boom économique.

  • Une maison traditionnelle de la province de Fujian à Kinmen. Les touristes chinois sont friands de cette architecture, presque disparue dans la Chine communiste.

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    Une maison traditionnelle de la province de Fujian à Kinmen. Les touristes chinois sont friands de cette architecture, presque disparue dans la Chine communiste.

  • Des nouilles sèchent à côté d’un temple dans les îles de Kinmen. Ce genre de traditions, disparues en Chine communiste, attirent les touristes chinois dans les petites îles gérées par Taïwan.

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    Des nouilles sèchent à côté d’un temple dans les îles de Kinmen. Ce genre de traditions, disparues en Chine communiste, attirent les touristes chinois dans les petites îles gérées par Taïwan.

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La pandémie a mis un terme brutal à ces échanges croissants. Les tensions Chine-Taïwan ont aggravé le portrait. En 2022, la Chine a temporairement banni l’importation de plusieurs produits alimentaires en provenance de Taïwan, dont la liqueur de Kinmen.

Les restrictions ont été levées partiellement après que des politiciens des îles ont rencontré les responsables du Bureau de Taïwan en Chine. Taipei y a vu une manœuvre politique du régime communiste visant à semer la dissension dans ses propres rangs. À séduire par l’argent.

Une expérience ou une trahison ?

L’un de ces politiciens qui ont participé aux pourparlers avec la Chine, Chen Yang-Yu, est aujourd’hui le porte-étendard d’un nouveau projet : faire de Kinmen une zone démilitarisée. Une zone tampon entre la Chine et Taïwan.

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Le conseiller municipal Chen Yang-Yu aimerait que Kinmen devienne une zone démilitarisée.

Ce serait une manière d’éviter que la guerre vienne à Kinmen. Nous voyons ce qui se passe en Ukraine en ce moment, les familles déchirées, les morts, nous ne voulons pas vivre ça à nouveau.

Chen Yang-Yu, conseiller municipal

Ce projet est soutenu par 8 des 18 élus municipaux des îles, issus des deux principaux partis politiques, mais aussi des indépendants.

Le conseiller de 49 ans, qui est aussi à la tête d’une entreprise de fruits de mer, est convaincu qu’advenant une guerre, la Chine ne ferait qu’une bouchée de Kinmen, où sont aujourd’hui stationnés 3000 militaires, soit le dixième des effectifs d’antan.

En préparant un thé, l’homme d’affaires note que ce n’est pas seulement la menace militaire qui motive son projet, mais aussi les bénéfices économiques que pourraient tirer les habitants de Kinmen s’ils n’étaient pas pris entre l’arbre chinois et l’écorce taïwanaise. « À terme, on pourrait même devenir le laboratoire pour l’approche ‟un pays, deux systèmes” » que préconise la Chine, ajoute-t-il, nonchalamment. Ce serait une immense gifle au gouvernement en place à Taïwan, qui veut plus que tout éviter ce scénario.

Pas surprenant, donc, que le projet de zone démilitarisée ait récolté un accueil chaleureux à Pékin et un silence de glace à Taipei.

Avec la collaboration spéciale de Hugo Peng

Les épices de la vie

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

Anna Yen dans le magasin familial d’épices et d’herbes à Kinmen

Et qu’en pensent les habitants de Kinmen ? Dans le marché de Jincheng, principale ville de l’archipel, Anna Yen écoute la question en mettant en sachet un mélange de cinq épices particulièrement odorant. L’entreprise d’herbes et d’épices de sa famille, baptisée en mandarin Garder la vertu, est en affaires depuis 191 ans et importe des quatre coins de l’Asie. « Je ne sais pas comment on va résoudre les tensions avec la Chine. Et ça m’importe peu, pourvu que nous soyons capables de continuer à faire ce que nous faisons », dit la jeune femme de 28 ans, sans jamais s’arrêter de travailler. La vertu, semble-t-il, se trouve dans les affaires avant tout.

Attaqués 20 millions de fois par jour

PHOTO I-HWA CHENG, COLLABORATION SPÉCIALE

Puma Shen, professeur de criminologie à l’Université nationale de Taïwan et expert de la guerre de l’information, lors d’une conférence à Taipei, le 19 février

Au tableau, Puma Shen, expert de la guerre de l’information, montre un graphique. On y voit que quatre mois avant le début de l’invasion en Ukraine, les pirates informatiques russes ont décuplé leurs activités sur le web.

Ils ont envoyé de la propagande proguerre et de fausses nouvelles dans toute la Russie, les régions prorusses de l’Ukraine, mais aussi dans 42 pays étrangers.

« L’idée, c’était d’améliorer l’image de la Russie, de semer la discorde à l’intérieur de l’Ukraine et de saper le moral des Ukrainiens », explique-t-il à près de 200 Taïwanais qui boivent ses paroles. « La Russie a préparé le terrain », soutient-il dans un mandarin si rapide que mon interprète a de la difficulté à suivre la cadence.

PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, LA PRESSE

L’affiche de la conférence prononcée par Puma Shen pour le premier anniversaire de la guerre en Ukraine

C’est que Puma Shen est un homme pressé. Cheveux en bataille, en jeans et en baskets, le professeur de criminologie à l’Université nationale de Taïwan multiplie les apparitions publiques pour prouver à ses concitoyens que la guerre avec la Chine n’est pas pour demain, elle est déjà là. Dans leur ordinateur. Sur leurs réseaux sociaux. Dans les débats publics.

Si on regarde l’espace informationnel à Taïwan, oui, la guerre est commencée. La Chine tente de convaincre les Taïwanais par tous les moyens que l’idéal pour eux, c’est que Taïwan rejoigne la Chine communiste. Ils essaient de nous persuader de signer une entente de paix, mais si nous faisons ça, nous allons mourir ! La dernière région qui a signé ce genre d’entente avec la Chine, c’est le Tibet, et voyez ce que ça a donné !

Puma Shen, professeur de criminologie à l’Université nationale de Taïwan et expert de la guerre de l’information

Des signes inquiétants

Comme en Ukraine avant la guerre, les activités des pirates informatiques qui travaillent pour le gouvernement chinois – ils seraient près de 100 000 – sont en surchauffe. Le gouvernement taïwanais estime que le nombre de cyberattaques dirigées contre l’île atteint parfois 20 millions par jour. Et elles prennent les formes les plus diverses.

PHOTO SAM YEH, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Nancy Pelosi, lors de sa visite au parlement de Taïwan, à Taipei, en août dernier

Les Taïwanais en ont eu une démonstration époustouflante en août 2022 lors de la visite à Taipei de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants des États-Unis. Des pirates ont réussi à prendre le contrôle des afficheurs électroniques dans tous les magasins (ultrapopulaires) 7-Eleven de Taïwan. On pouvait lire « Nancy Pelosi, retournez chez vous ! ». Le scénario a été passablement le même dans plusieurs gares de train. Au même moment, le site web de la présidence de Taïwan était aussi bloqué. « Ça a été un réveil brutal pour beaucoup de Taïwanais », note Puma Shen.

Le gouvernement a répondu en nommant pour la première fois une ministre des Affaires numériques, Audrey Tang. Avant de se joindre au gouvernement, cette ancienne pirate informatique a été militante au sein du mouvement étudiant des tournesols qui s’est opposé en 2014 à l’adoption à la va-vite d’une entente de libre-échange avec la Chine. En février cette année, la politicienne transgenre a annoncé la création d’un Institut national de recherche sur la cybersécurité.

Un certain M. Nixon

Lors de notre passage à Taïwan, c’est un tweet étrange d’un certain Garland Nixon, un animateur radio américain lié à la chaîne gouvernementale russe Sputnik, qui semait l’émoi dans l’île autogouvernée.

« Nouvelle de dernière heure : un initié de la Maison-Blanche a dit que lorsqu’on a demandé au président Biden s’il était possible qu’il y ait un plus gros désastre que le projet néoconservateur pour l’Ukraine, ce dernier a répondu : ‟Attendez de voir nos plans pour la destruction de Taïwan” », peut-on lire sur Twitter.

Le gazouillis semble complètement absurde, mais il s’est répandu comme une tache d’huile sur la mer méridionale de Chine et s’est retrouvé au cœur des débats politiques à Taïwan. Des médias contrôlés par le Parti communiste chinois, comme le Global Times, en ont fait leurs choux gras.

L’auteur, Garland Nixon, s’est défendu en expliquant sur YouTube que son gazouillis se voulait satirique, mais un petit tour sur son fil Twitter permet de voir qu’il met sans cesse de l’avant des informations prorusses, allant jusqu’à qualifier le gouvernement canadien et la ministre des Finances, Chrystia Freeland, de « fascistes ».

À la suite de cet évènement, Puma Shen et son équipe, qui étudient les campagnes de désinformation, cherchent surtout à savoir comment cet énoncé incendiaire est devenu viral, comment il a été amplifié. « Notre travail, c’est de comprendre les mécanismes derrière ce genre de fausses nouvelles et de les exposer », explique le Taïwanais de 41 ans.

C’est ainsi que le criminologue et la petite équipe de chercheurs du Double Think Lab qu’il dirige ont pu déterminer la participation chinoise dans la création et la dissémination d’informations mensongères liées à la guerre en Ukraine. Dans cet univers, l’Occident est responsable de la guerre, les Ukrainiens sont des nazis et l’Ukraine n’a pas la capacité de résister à l’armée russe. « Tout ça, ce sont des spins de la Chine », a-t-il exposé à son auditoire captif qui l’a criblé de questions après sa conférence.

Bâtir une escouade

C’est grâce à des conférences comme celle-là que Puma Shen espère convaincre d’autres Taïwanais de se joindre à la « guerre de l’information ». À terme, il aimerait que Taïwan ait sa propre armée de cyberpirates pour contrer les attaques chinoises. « À Taïwan, c’est difficile de leur demander de travailler pour le gouvernement. Ils ont l’esprit de pirates, pas de fonctionnaires », dit-il, avant de s’éclipser.

Il est 22 h un vendredi soir à Taipei. Puma Shen, sur le mode du combat, a eu une longue journée. Une autre l’attend demain.

Guerre diplomatique entre Taïwan et la Chine : Montréal, le nouveau front

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le siège de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), au centre-ville de Montréal

Wang Ting-Yu rit encore quand il pense à son dernier séjour à Montréal l’automne dernier. Le député taïwanais et membre du Comité sur les affaires internationales a atterri dans une résidence étudiante du boulevard Robert-Bourassa dans le cadre d’une mission diplomatique de haute importance.

Taïwan voulait participer à la grande assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), l’entité onusienne qui a son siège au centre-ville de Montréal. La réunion triennale qui regroupe tous les pays membres était cruciale. L’aviation civile a été dévastée par la pandémie de COVID-19 et il était question de la remettre sur les rails. Taïwan, qui abrite deux compagnies aériennes, le quatrième aéroport du monde pour l’achalandage et est survolé par 10 millions d’avions tous les ans, voulait être à la table.

PHOTO ANDREW HUANG, TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Wang Ting-Yu

Le secrétaire général de l’OACI voulait que Taïwan y soit, la plupart des pays membres aussi, mais la Chine ne voulait pas et s’y est opposée avec quelques alliés. Nous n’avons même pas réussi à avoir un statut d’observateur !

Wang Ting-Yu, député taïwanais et membre du Comité sur les affaires internationales

Pour contourner l’exclusion de Taïwan à l’OACI, le politicien attaché au Parti progressiste démocratique (DPP), le parti au pouvoir, et ses collègues ont établi leur propre quartier général à un jet de pierre de l’organisation internationale.

Après les réunions officielles onusiennes, des délégués des quatre coins du monde traversaient la rue pour voir leurs vis-à-vis taïwanais. « Un scénario complètement ridicule ! », déplore M. Wang, qui représente la ville de Tainan au Parlement, le Yuan législatif.

PHOTO FREDERIC J. BROWN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La présidente taïwanaise, Tsai Ing-Wen, est reçue par le président de la Chambre des représentants des États-Unis, Kevin McCarthy, à Simi Valley, en Californie, le 5 avril.

Cet épisode est un exemple fort éloquent de la guerre diplomatique que se livrent la Chine et Taïwan depuis maintenant 73 ans. Une guerre diplomatique dont toute la planète a été témoin au début avril. Le week-end de Pâques, la Chine a tenu des exercices militaires autour de l’île du Pacifique après que la présidente taïwanaise, Tsai Ing-Wen, eut fait un arrêt en Californie pour rencontrer le président de la Chambre des représentants des États-Unis, Kevin McCarthy. Un geste de provocation, selon Pékin.

Malgré cette réaction plus que musclée des autorités chinoises, les rumeurs veulent que M. McCarthy – comme sa prédécesseuse Nancy Pelosi – fasse lui-même le voyage à Taïwan dans la prochaine année. « C’est moi qui lui ai donné l’invitation. Et je l’ai remercié pour son soutien. Pour le moment, il n’y a pas de plan de voyage, mais M. McCarthy m’a dit que s’il vient, ce n’est pas l’affaire de la Chine ! dit Wang Ting-Yu. Je suis bien d’accord avec lui. »

S’il y a une chose que Taïwan ne peut pas se permettre, c’est de laisser la Chine utiliser son armée pour miner nos relations diplomatiques. Si on annulait une visite à cause de ses menaces, ce serait les encourager.

Wang Ting-Yu, député taïwanais et membre du Comité sur les affaires internationales

De sa maison dans le sud du pays, le politicien entend et voit tous les jours les avions de chasse chinois qui vrombissent au large de Taïwan.

Il faut remonter à 1949 pour comprendre cet interminable bras de fer diplomatique. Cette année-là, les communistes de Mao Zedong ont gagné la guerre contre le gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek. Ce dernier a fui vers Taïwan pour y installer son gouvernement en exil.

Longtemps, la grande majorité des pays du monde ont reconnu l’État qui émanait de cet exil, mais dans les années 1970, les Nations unies et la plupart des pays du monde ont finalement reconnu Pékin et la République populaire de Chine comme étant le siège du gouvernement chinois. Pékin soutient depuis qu’il ne peut y avoir deux Chine et veut rapatrier Taïwan dans son giron.

Dans ce concours d’allégeances, la République de Chine, qui est toujours un des noms officiels de Taïwan, s’est retrouvée le bec à l’eau et a perdu son siège au sein des Nations unies et de toutes ses agences, et ce, même si le gouvernement en place à Taipei gouverne l’île de 23 millions de personnes en toute souveraineté.

Aujourd’hui, 13 pays reconnaissent que Taïwan est un État, mais ce nombre ne cesse de diminuer sous la pression et la grande séduction de la Chine. À la fin mars, le Honduras a laissé tomber Taïwan et rejoint le club des pays qui reconnaissent une seule Chine, dont fait partie le Canada.

Dans la plupart des pays du monde, donc, le gouvernement taïwanais n’a pas d’ambassades formelles, mais ça ne l’empêche pas d’être créatif pour se tailler une place sur la scène mondiale.

Et cette créativité frappera bientôt à la porte du Québec. Taïwan, qui compte déjà trois bureaux commerciaux et culturels au Canada, soit à Toronto, Ottawa et Vancouver, en ouvrira un à Montréal en juin. « On aura un bureau permanent. On n’aura plus à louer un hôtel pour rencontrer des représentants d’autres pays. On aura quelqu’un sur place qui fera la liaison avec l’OACI. Un jour, nous deviendrons membres », estime Wang Ting-Yu.

Ce serait une victoire. Chaque siège acquis dans une organisation internationale représente pour Taïwan un pas de plus vers la reconnaissance internationale. Et un pas de distance supplémentaire face à l’immense voisin communiste.