Le jeune parti Move Forward crée la surprise aux élections législatives. Mais rien n’est encore joué, loin de là.

Vent de changement au pays du sourire. Après neuf ans de gouvernement conservateur promilitaire, la jeune formation de centre gauche Move Forward (MF) l’a emporté dimanche aux élections législatives, ouvrant la porte à une dynamique de réformes en Thaïlande.

Ce qu’il faut savoir

  • Le jeune parti de gauche Move Forward (Avancer) l’emporte aux élections législatives en Thaïlande, ce qui pourrait entraîner un vent de réformes dans le pays.
  • Les partis conservateurs soutenus par l’armée mordent la poussière
  • Le leader de Move Forward devra manœuvrer habilement pour créer une coalition gouvernementale. Au prix de quelles concessions ?

« C’était le bon moment, les gens ont trop subi. […] Aujourd’hui est un nouveau jour et j’espère qu’il apportera du soleil et de l’espoir », a déclaré le leader de Move Forward, Pita Limjaroenrat, lors d’une conférence de presse, lundi à Bangkok.

  • Pita Limjaroenrat, leader du parti Move Forward, lors d’une conférence de presse après les élections législatives

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    Pita Limjaroenrat, leader du parti Move Forward, lors d’une conférence de presse après les élections législatives

  • Partisane du parti Move Forward et de son chef, Pita. En Thaïlande, on désigne effectivement par le prénom.

    PHOTO WASON WANICHAKORN, ASSOCIATED PRESS

    Partisane du parti Move Forward et de son chef, Pita. En Thaïlande, on désigne effectivement par le prénom.

  • La victoire de Move Forward aux législatives ouvre la porte à une dynamique de réformes en Thaïlande

    PHOTO LILLIAN SUWANRUMPHA, AGENCE FRANCE-PRESSE

    La victoire de Move Forward aux législatives ouvre la porte à une dynamique de réformes en Thaïlande

  • Un taux de participation record de 75,22 % a été enregistré et s’est soldé par un rejet franc du gouvernement conservateur promilitaire.

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    Un taux de participation record de 75,22 % a été enregistré et s’est soldé par un rejet franc du gouvernement conservateur promilitaire.

  • Un homme lit un quotidien thaïlandais avec la couverture des élections dans un kiosque de Bangkok, la capitale de la Thaïlande.

    PHOTO LILLIAN SUWANRUMPHA, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Un homme lit un quotidien thaïlandais avec la couverture des élections dans un kiosque de Bangkok, la capitale de la Thaïlande.

  • Pita Limjaroenrat (sur la voiture, chemise blanche) dirige un défilé de la victoire dans les rues de Bangkok.

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    Pita Limjaroenrat (sur la voiture, chemise blanche) dirige un défilé de la victoire dans les rues de Bangkok.

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Porté par un taux de participation record de 75,22 %, le parti à la couleur orange récolte 151 sièges sur 500, devant Pheu Thai, l’autre force « progressiste » de l’opposition (141 sièges), et le parti de centre droit Bhumjaithai (70 sièges), de l’ex-vice-premier ministre Prawit Wongsuwon.

Le parti de la Nation thaïlandaise unie (UTN) du premier ministre sortant Prayut Chan-O-Cha arrive pour sa part en 5e position, avec seulement 36 élus. Un cinglant revers pour cet ancien militaire, qui avait pris le pouvoir à la suite du coup d’État de 2014.

2« C’est une victoire nette de l’opposition sur les forces conservatrices », confirme Erik Kuhonta, spécialiste de l’Asie du Sud-Est à l’Université McGill.

C’est un signal très fort de la part de la population thaïlandaise, qui a un grand désir de réformes politiques, sociales et économiques. Parce que Move Forward était le parti avec le programme le plus radical…

Erik Kuhonta, spécialiste de l’Asie du Sud-Est

Pita Limjaroenrat, un diplômé de Harvard de 42 ans, n’a pas attendu avant de crier victoire, se présentant dès lundi comme le « prochain premier ministre de la Thaïlande » et celui qui formerait « un nouveau gouvernement ».

Une déclaration nettement prématurée, affirme Manuel Litalien, professeur à l’Université Nipissing, à North Bay. Dans les faits, Pita (en Thaïlande, on désigne par le prénom) devra forger des alliances politiques s’il espère prendre le pouvoir. Une ronde de négociations qui pourrait durer « au mieux des semaines, au pire des mois », selon ce spécialiste de la politique thaïlandaise. Il y aurait également des obstacles juridiques qui attendent le chef du MF.

Trop tôt pour dire

Il faut savoir qu’en vertu des règles électorales du pays, une simple majorité à l’Assemblée ne suffit pas pour l’emporter. Car en plus des 500 députés à la chambre basse, les 250 sénateurs – choisis par l’armée – participent également au choix du premier ministre. Ce système contraint les partis de l’opposition à obtenir une très large alliance de 376 sièges sur 750 au total, pour contrecarrer un candidat proche des militaires.

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Paetongtarn Shinawatra, dirigeante du parti progressiste Pheu Thai

Le chef de Move Forward a ainsi tendu la main à son homologue du parti Pheu Thai, Paetongtarn Shinawatra, fille de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, actuellement en exil.

Ces deux forces politiques, jugées progressistes, pourraient s’allier avec d’autres partis pour espérer une coalition de quelque 310 sièges. Insuffisant pour la majorité, mais assez important pour imposer un dialogue aux membres du Sénat.

« Les militaires ne peuvent pas ignorer la volonté populaire, observe Manuel Litalien. Ignorer une coalition de cette envergure serait risquer de provoquer de nouvelles manifestations et causer de l’instabilité. C’est quelque chose que le pays ne souhaite pas, surtout après la crise de la COVID et alors que le tourisme est en train de reprendre. »

Crime de lèse-majesté

Dans tous les cas, des compromis sont à prévoir.

Pheu Thai et Move Forward partagent le constat d’une économie thaïlandaise défaillante qui a besoin de réformes. Mais ils s’opposent sur bon nombre de sujets de société, comme l’article 112, réprimant sévèrement le crime de lèse-majesté.

Pita a répété sa promesse de briser ce tabou, que longtemps les partis politiques n’osaient pas aborder, et qui était au cœur des manifestations de 2020 et 2021 en Thaïlande. Nombre de jeunes Thaïlandais réclament un moins grand pouvoir pour la monarchie et son soutien indéfectible, l’armée. À l’heure actuelle, la diffamation royale est passible en Thaïlande d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans.

Ce dossier est une priorité absolue pour Move Forward, alors que Pheu Thai se montre plus prudent sur la question. Le parti Bhumjaithai, plus à droite, est pour le statu quo, mais ses voix sont vitales pour une éventuelle alliance. Pour l’armée, enfin, c’est officiellement la ligne rouge à ne pas dépasser. Un avertissement à considérer dans ce pays qui a connu 18 coups d’État – dont 12 réussis – depuis les années 1930.

Move Forward devra-t-il céder sur le fond ? « Possible, mais difficile, répond Erik Kuhonta. Parce que cette promesse de réforme est à la base de leur identité. C’est leur légitimité même qui serait remise en question. »

Un vrai dilemme existentiel pour le « prochain premier ministre » de la Thaïlande. Et ce, avant même d’être au pouvoir…

Avec l’Agence France-Presse