(Bangkok) Le réformiste Pita Limjaroenrat, vainqueur des législatives en Thaïlande, compte sur un deuxième vote du Parlement, prévu mercredi, pour devenir premier ministre, après un premier échec lié à l’opposition des généraux, mais d’autres candidatures pourraient bouleverser la donne.

La deuxième économie d’Asie du Sud-Est, empêtrée dans un cycle de crises politiques et de manifestations géantes depuis plus de 20 ans, traverse une nouvelle période de tensions, entre les élites conservatrices au pouvoir et les jeunes générations avides de changements.

Députés et sénateurs se réuniront à nouveau mercredi pour désigner un premier ministre, a indiqué vendredi à l’AFP le vice-président de l’Assemblée nationale, dans un contexte toujours plus incertain.

La première tentative, jeudi, a confirmé les blocages autour du candidat progressiste Pita Limjaroenrat, qui dépend du ralliement de sénateurs nommés par l’armée pour accéder au pouvoir, malgré l’appui d’une coalition prodémocratie majoritaire dans la Chambre basse.

Or la majorité des sénateurs, gardiens autoproclamés des valeurs traditionnelles, reprochent au jeune député (42 ans) son projet de réformer la loi sur la lèse-majesté, un sujet sensible en Thaïlande où le roi jouit d’un statut de quasi-divinité.

Dans un système verrouillé par l’armée, les chances que Pita remporte le deuxième vote sont minces, s’il est autorisé à se représenter, selon des analystes interrogés par l’AFP.

« On ne sait même pas encore si Pita pourra être candidat pour une deuxième fois. Cela peut dépendre de la coalition, ou des parlementaires qui ne veulent pas répéter la procédure avec un candidat qui a déjà été rejeté », estime Napon Jatusripitak, professeur de sciences politiques.

Une candidature Pheu Thai ?

D’après un scénario évoqué par les analystes, le puissant parti Pheu Thai pourrait quitter la coalition prodémocratie de huit partis dominée par Move Forward, pour présenter un candidat issu de ses rangs.

Deuxième force au Parlement, le mouvement populiste associé à l’ex-premier ministre en exil Thaksin Shinawatra est jugé moins clivant sur le sujet sensible de la monarchie.

Deux noms émergent : Paetongtarn Shinawatra, la fille de Thaksin, et l’homme d’affaires Srettha Thavisin.

« Je pense que l’issue du deuxième vote ne sera pas différente de celui d’hier [jeudi]. Donc Pheu Thai, Move Forward et les autres doivent parler », a déclaré aux journalistes le dirigeant de Pheu Thai, Cholnan Srikaew, en rappelant que l’accord de coalition tenait toujours.

« Je recommande que la coalition demande un divorce et se trouve un nouveau copain », a lancé sur un ton provocateur le sénateur Kittisak Rattanawaraha, l’un des plus virulents vis-à-vis de Move Forward.

De son côté, Pita a assuré jeudi qu’il trouverait la solution pour rallier la cinquantaine de sénateurs (sur 250) dont il a besoin.

« Pourquoi les sénateurs changeraient leur vote, avec autant de pression du régime contre eux ? », s’interroge auprès de l’AFP l’analyste politique Thitinan Pongsudhirak.

Télégénique, à l’aise en anglais, divorcé, Pita incarne le renouveau souhaité par les nouvelles générations, après une quasi-décennie sous l’autorité de l’ex-général putschiste Prayut Chan-O-Cha qui a vu les libertés fondamentales reculer et la croissance économique patiner.

Mais son projet phare de réformer la loi sur la lèse-majesté, l’une des plus sévères au monde de ce type, a tracé une ligne rouge avec les sénateurs, qui pointent aussi du doigt les ennuis judiciaires du député.

Menace de suspension

Pita Limjaorenrat est poursuivi dans deux affaires distinctes, qui font planer au-dessus de sa tête la menace d’une disqualification.

Le président de la commission électorale a préconisé mercredi une suspension de ses fonctions parlementaires, en raison d’actions qu’il possédait dans une chaîne de télévision au moment de la campagne, en infraction avec la loi.

L’intéressé, qui se défend de toute manœuvre illégale, a dénoncé une procédure précipitée visant à influencer le scrutin qu’il a perdu le lendemain.

Dans un autre dossier, la Cour constitutionnelle a déclaré recevable la plainte d’un avocat qui accuse M. Pita et Move Forward de vouloir « renverser » la monarchie.

La Thaïlande, qui a connu une douzaine de coups d’État réussis depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, est habituée aux crises politiques alimentées par des interventions de l’armée ou des décisions de justice, parfois émaillées de violences.

« Ce n’est pas la démocratie, et ça ne va pas changer. […] On doit faire quelque chose d’autre. On ne peut pas être autour du parlement, donc on sera dans les rues », a lancé Harish Klongprakit, un étudiant de 21 ans, venu manifester avec une dizaine de personnes dans le centre de Bangkok.