(Seongnam, Corée du Sud ) Dans la salle de bal de l’hôtel décorée de ballons roses où jouait de la musique romantique, 100 célibataires étaient réunis pour déguster du vin, faire connaissance et, qui sait, peut-être plus.

La soirée censée durer cinq heures, organisée pour 50 hommes et 50 femmes en banlieue de Séoul, a passé trop vite au goût de Mia Kim. Même si elle s’est poursuivie dans un bar jusqu’à 1 h du matin : « C’était trop court », a-t-elle dit.

L’entremetteuse de cette rencontre ? L’hôtel de ville.

De nombreuses municipalités sud-coréennes organisent des rencontres pour célibataires, espérant inciter les jeunes adultes à se marier et à fonder une famille. Car la Corée du Sud a depuis trois ans le taux de fécondité le plus faible au monde.

Les jeunes ne veulent tout simplement pas se marier et avoir des enfants, déplorent les maires de ce pays où seulement 2 % des naissances se font hors mariage.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA VILLE DE SEONGNAM

De jeunes gens devant un jeu vidéo durant une soirée-rencontre organisée par la Ville de Seongnam. La Ville a voté des crédits de 192 000 $ pour financer ces évènements très courus par les jeunes célibataires.

« Il y a une attitude négative à l’égard du mariage qui se répand dans la société sud-coréenne », dit Shin Sang-jin, maire de Seongnam, ville voisine de Séoul, qui a organisé la soirée-rencontre.

D’après moi, c’est le rôle des municipalités de faire en sorte que les jeunes qui veulent se marier puissent trouver leur partenaire.

Shin Sang-jin, maire de Seongnam

Mais les jeunes Sud-Coréens sont plutôt d’avis que le vrai problème, c’est le coût faramineux des garderies et du logement, les faibles perspectives d’emploi et les horaires de travail écrasants. Bref, ce n’est pas avec des soirées-rencontres qu’on fera monter le taux de natalité, disent-ils. Les femmes, en particulier, se disent découragées par la discrimination envers les mères qui travaillent.

D’autres reprochent aux élus de s’immiscer dans des choix personnels en matière de procréation.

Mais ces soirées-rencontres sont très courues. Plus de 1000 personnes convoitaient les 100 places offertes lors de la soirée à Seongnam ce mois-ci. Et les jeunes qui assistent à ces soirées en redemandent.

Dénatalité

Si la proportion de personnes qui se marient est en baisse partout, elle est en chute libre en Corée du Sud : en 2021, on comptait 6 mariages pour 1000 habitants aux États-Unis, contre 3,8 pour 1000 en Corée du Sud.

Les naissances étaient à l’avenant en Corée du Sud. En 2022, le taux de fécondité du pays – soit le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer – a baissé pour la septième année consécutive, atteignant 0,78. Les autorités cherchent des moyens d’éviter une crise démographique. Les experts disent que c’est insuffisant. De plus, certaines initiatives ont été critiquées.

Même si le nombre de Sud-Coréens désireux d’avoir des enfants diminue, les autorités croient que l’intérêt pour leurs activités de jumelage va perdurer. Seongnam, une ville d’environ 1 million d’habitants, a alloué environ 192 000 $ à ce type d’évènements et prévoit en organiser plusieurs autres cette année. Une petite équipe municipale a été chargée de s’intéresser au taux de natalité.

Nous avons aimé voir tous ces jeunes sourire, rougir et se montrer si intéressés.

Yang Mi-jeong, organisatrice des soirées-rencontres de la municipalité de Seongnam

Des villes d’autres pays confrontés à la dénatalité – Chine, Japon, etc. – ont aussi des programmes de ce type. En Corée du Sud, les petites villes organisent de telles soirées depuis des années à l’intention des personnes âgées de 27 à 39 ans.

C’est à Seongnam que le jumelage municipal a atteint pour la première fois la grande région de Séoul. À Séoul même, la mairie indique qu’elle envisage aussi ces soirées-rencontres. Les élus ont indiqué leur appui, mais la Ville réexamine la question en réponse aux critiques exprimées sur les réseaux sociaux.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA VILLE DE SEONGNAM

Une partie de roche-papier-ciseaux, ça casse la glace. Les soirées-rencontres répondent à un besoin social : sur 200 personnes arrivées seules, 78 sont reparties en couple, souligne-t-on à la Ville.

« D’après moi, ça ne changera rien à la baisse de la natalité », croit Jeon Seolhee, 27 ans, étudiante à la maîtrise près de Séoul. « Les jeunes femmes craignent qu’avoir des enfants interrompe leur carrière. » Elle a un petit ami, dit-elle, mais n’a pas encore décidé si elle voulait des enfants.

Certains jeunes Sud-Coréens trouvent ces projets artificiels et intrusifs. « Ça semble un peu faux », dit Park Soomin, 30 ans, qui travaille dans une société de médias à Incheon, une autre ville près de Séoul.

C’est bizarre que le gouvernement se mêle des relations personnelles.

Park Soomin, 30 ans, qui travaille à Incheon, près de Séoul

Les spécialistes du déclin démographique sud-coréen affirment que la réduction du temps de travail, une culture du travail favorable à la famille et l’égalité des sexes au sein de la famille seraient plus efficaces que des soirées-rencontres, explique Jung Jae Hoon, professeure de travail social à l’Université des femmes de Séoul.

À Seongnam, on souligne que les soirées-rencontres municipales ne sont pas perçues comme la solution miracle à la crise démographique de la ville. Mais elles répondent à un besoin social : sur 200 personnes arrivées seules, 78 sont reparties en couple, souligne-t-on à la Ville.

Se sentir seul la fin de semaine

« Les jeunes hommes et les jeunes femmes s’ennuient », note Lee Myung-gil, consultante qui a participé à l’organisation du programme de rencontres à Seongnam, « et ils disent qu’ils se sentent seuls la fin de semaine. »

Hwang Dabin, 33 ans, agent immobilier à Seongnam, dit qu’il a participé à une des soirées-rencontres organisées par sa ville parce que la pandémie avait mis un frein à sa vie sociale. Il est célibataire depuis six ans, a-t-il ajouté.

« J’étais ravi à l’idée d’un évènement qui se déroulerait en personne », dit-il. Il y a rencontré une femme. Quelques semaines plus tard, il est toujours en contact avec elle.

Mia Kim, elle, n’a pas trouvé. Mais elle n’est pas déçue, dit-elle. Certains participants à l’évènement auquel elle a assisté organisent une rencontre de leur côté et elle prévoit y aller.

Qu’elle rencontre quelqu’un ou non, elle n’est pas inquiète.

« Aujourd’hui, j’essaie de me contenter de passer du bon temps avec des gens intéressants, dit-elle. On ne peut pas forcer ce genre de choses. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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