Le 1er octobre, la République populaire de Chine fêtera ses 74 ans. Elle dépassera ainsi l’URSS en longévité. Quelle est la recette de ce succès ? Dans son ouvrage, The Rise and Fall of the EAST, Yasheng Huang, économiste américain d’origine chinoise souligne l’importance d’un examen gouvernemental datant de 1500 ans.

Pourquoi comparer la longévité de la République populaire de Chine et celle de l’URSS ?

Peu importe qu’on prenne comme point de départ de l’URSS la révolution d’Octobre [prise du pouvoir en Russie par les bolcheviques en 1917], la monopolisation du pouvoir par les communistes russes au début de 1918 ou la fondation officielle de l’URSS en 1922, en comparaison, la Chine a su durer et même prospérer comme aucun autre pays communiste. Et pour moi, c’est à cause des traditions chinoises de méritocratie, qui ont assuré un succès économique que le berceau du communisme, la Russie, n’a jamais connu.

En quoi l’acronyme EAST de votre titre fait-il référence à la méritocratie ?

Il signifie « examen, autocratie, stabilité et technologie ». L’examen chinois dont je parle, le Keju, a été fondé au VIe siècle sous la dynastie Sui pour recruter les meilleurs bureaucrates. Son importance s’est toujours maintenue, sauf à certains moments de la dynastie mandchoue. Il monopolise pour l’État communiste les forces vives de la nation, il crée une uniformité de pensée et il empêche la formation de pôles alternatifs de pouvoir. Aujourd’hui, l’examen national d’entrée à l’université, le Gaokao, est le descendant direct du Keju.

N’est-ce pas exagérer l’importance d’un simple examen ?

Tous les systèmes politiques sont le fruit de l’histoire. L’examen Keju est né peu après l’effondrement de l’Empire romain d’Occident. C’est là que les trajectoires de la Chine et de l’Europe divergent. La Chine a réussi à centraliser le pouvoir parce qu’elle offrait une avenue professionnelle aux jeunes ambitieux. En Europe, le pouvoir royal a frustré ces aspirations. La démocratie et le libéralisme occidentaux sont issus de ce bras de fer entre les nobles et le roi. De cette lutte sont nés les élections, les droits de la personne et de propriété. L’examen Keju a détruit le pouvoir de la noblesse en Chine.

Avec Xi Jinping, le retour à une centralisation et à une personnalisation du pouvoir qu’on croyait disparue avec la mort de Mao, c’est donc un retour aux sources de l’examen Keju ?

La période de libéralisation économique entre 1978 et 2018 est, en effet, une anomalie pour la Chine. C’est la seule raison pour laquelle elle peut rivaliser aujourd’hui avec l’Occident, parce qu’on a permis l’émergence d’entreprises non contrôlées par l’État et le Keju.

Pourquoi Deng Xiaoping a-t-il rompu avec la tradition en libéralisant l’économie chinoise en 1978 ?

La contre-révolution des années 1960 en Chine a été tellement dévastatrice pour l’économie et la société que les dirigeants chinois ont décidé de limiter eux-mêmes leurs pouvoirs, dans l’espoir d’éviter les extrêmes politiques. Deng Xiaoping a personnellement beaucoup souffert de l’action des gardes rouges de Mao. Je ne sais pas si c’est à cause de cette souffrance, mais c’est vraiment l’un des leaders chinois les plus conscients de l’importance du développement économique. Je le comparerais au fondateur de Singapour, Lee Kuan Yew.

N’y a-t-il pas eu une grande exploration maritime chinoise au XVe siècle, avant même les voyages de Christophe Colomb ?

Oui, mais c’étaient des projets visant à démontrer le pouvoir politique de l’empereur, pas des projets commerciaux. Alors à un certain moment donné, l’argent est venu à manquer parce qu’il n’y avait pas de logique d’affaires à ces voyages. L’exploration occidentale de l’Amérique s’est poursuivie parce que ceux qui la finançaient ont trouvé une manière de la rendre rentable.

Est-ce qu’on peut comparer le programme spatial chinois aux voyages en mer de Chine et dans l’océan Indien de l’amiral Ming Zheng He, dès le XVe siècle ?

Je ferais plutôt la comparaison avec les projets de la Nouvelle Route de la soie [mise en branle en 2013] qui visent la construction de ports, de routes et de chemins de fer un peu partout en Asie et en Afrique. Beaucoup de ces projets n’ont aucune logique économique. La Chine pense qu’en construisant de l’infrastructure, on va créer des économies fortes. Mais le grand programme d’infrastructures en Chine s’appuyait sur une croissance économique forte entre 1978 et 2010. Et même en Chine, on voit que certaines infrastructures ne seront jamais utilisées au maximum.

Le ralentissement économique, la décroissance démographique et la désinflation qui semblent menacer la Chine vont-ils persuader Xi Jinping d’abandonner la centralisation liée à l’examen Keju ?

Reprendre la libéralisation économique à la Deng Xiaoping serait la manière la plus productive de répondre aux crises actuelles. L’autre solution est d’imposer encore plus de contrôles grâce à la technologie, pour éviter l’expression de ces problèmes. Il faut se rappeler que le Parti communiste chinois a raison de craindre l’effondrement social qui peut accompagner la chute brutale d’un gouvernement totalitaire. S’il y a une transition vers la démocratie et l’État de droit, ce que je souhaite, elle doit être graduelle.

Xi Jinping pourrait-il décider d’envahir Taïwan, soit pour distraire la population de ses problèmes, soit parce que la Chine ne sera jamais dans une aussi bonne posture face aux États-Unis à cause des perspectives de stagnation économique en Chine ?

[Après une hésitation] Xi a fini par abandonner le contrôle strict de la COVID-19 face à la grogne populaire. Je ne pense pas qu’il prenne un risque aussi grand que celui d’une invasion. L’économie chinoise pourrait être détruite. Il y a récemment eu un dégel des relations entre la Chine et les États-Unis, ou à tout le moins une pause dans l’escalade des tensions. J’espère que c’est une tendance de fond.

Qui est Yasheng Huang ?

Né à Pékin, il arrive aux États-Unis en 1981 pour ses études universitaires, puis y fait sa vie professionnelle.

Depuis 30 ans, il a publié de nombreux études et livres sur l’économie chinoise.

Ses grands-parents maternels, morts avant la Révolution culturelle, étaient parmi les premiers dirigeants du Parti communiste chinois.

The Rise and Fall of the EAST

The Rise and Fall of the EAST

Yale University Press

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  • 96 millions
    Nombre de membres du Parti communiste chinois
    SOURCE : The Rise and Fall of the EAST