Après avoir regardé Navalny, le documentaire sur le leader de l’opposition russe Alexeï Navalny, une femme d’affaires chinoise m’a envoyé un message : « Ren Zhiqiang est le Navalny de la Chine. » Elle parlait du magnat de l’immobilier à la retraite qui a été condamné à 18 ans de prison pour avoir critiqué le dirigeant chinois, Xi Jinping.

Après la mort tragique d’Alexeï Navalny, le mois dernier, un jeune dissident vivant à Berlin a publié sur le réseau social X : « Le professeur Li est ce qui se rapproche le plus de la version chinoise de M. Navalny. » Il faisait référence à l’influenceur rebelle connu sous le nom de Teacher Li, qui utilisait les réseaux sociaux pour relayer des informations sur les manifestations en Chine et qui craint aujourd’hui pour sa vie.

Il y en a d’autres : Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix, mort alors qu’il était détenu par le gouvernement en 2017, et Xu Zhiyong, le juriste qui purge une peine de 14 ans de prison pour subversion.

La triste réalité est qu’il n’y a pas d’équivalent chinois de Navalny parce qu’il n’y a pas de parti d’opposition en Chine, et donc pas de leader de l’opposition.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. De nombreux Chinois courageux ont tenu tête au gouvernement autoritaire le plus puissant du monde. Depuis 2000, l’organisation humanitaire à but non lucratif Dui Hua a enregistré les cas de 48 699 prisonniers politiques en Chine, dont 7371 sont actuellement en détention. Aucun ne jouit de la même notoriété auprès du public chinois que Navalny en Russie.

Pire en Chine

Sous la présidence de Vladimir Poutine, la Russie fait preuve d’une grande intolérance à l’égard de la dissidence. Poutine emprisonne ses détracteurs et les traque même en exil. En Chine, les équivalents de Navalny ne pourraient être des personnalités en vue. Ils seraient réduits au silence et emprisonnés bien avant d’être connus du public.

« Pourriez-vous imaginer que la RPC [République populaire de Chine] donne à des prisonniers politiques notoires l’accès continu qu’avait Navalny à l’opinion publique par le truchement de diverses méthodes, directes et indirectes ? », écrit Jerome Cohen, professeur de droit à la retraite de l’Université de New York, sur X.

Voilà à quoi songeaient les membres de la communauté dissidente chinoise en apprenant la mort de M. Navalny avec douleur et horreur. Sa mort est tragique et sa vie, héroïque. Mais ce qu’ils ont eu du mal à digérer, c’est le fait que lui ait pu envoyer des centaines de lettres manuscrites à partir de sa prison. Les gens lui écrivaient, en payant 40 cents par page, et recevaient des copies numérisées de ses réponses. Une vidéo de lui derrière les barreaux lors de sa dernière comparution devant le tribunal a été diffusée en ligne.

« Malgré des conditions de plus en plus difficiles, y compris des séjours répétés à l’isolement, écrit Anton Troianovski, chef du bureau de Moscou du New York Times, il a maintenu une présence sur les réseaux sociaux, tandis que les membres de son équipe ont continué de publier des enquêtes sur l’élite corrompue de la Russie malgré leur l’exil. »

PHOTO HEIKO HUNGE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une image de Liu Xiaobo, lauréat du prix Nobel de la paix mort en 2017, a été exposée lors de la cérémonie des prix Nobel à Oslo, en 2010.

Rien de tout cela ne serait possible en Chine. Le nom de la plupart des prisonniers politiques chinois est censuré en ligne. Une fois qu’ils ont été arrêtés, on n’entend plus jamais parler d’eux. Personne ne peut leur rendre visite, à l’exception de leurs parents directs et de leurs avocats, et encore, ce n’est pas assuré. Les prisonniers politiques chinois ne peuvent pas correspondre avec le monde extérieur et moisissent derrière les barreaux, même s’ils sont aux prises avec des problèmes de santé – c’est exactement le sort qu’a connu Liu, le Prix Nobel de la paix, mort d’un cancer du foie à un stade avancé alors qu’il était détenu par le gouvernement.

« Phénomène courant »

Certains surnomment Ren, le magnat de l’immobilier à la retraite, le « Navalny chinois ». À une époque, il était probablement le prisonnier politique chinois le plus connu du public. Il comptait parmi les blogueurs les plus influents du pays sur les réseaux sociaux, avec près de 38 millions d’abonnés. En 2016, son compte Weibo a été supprimé après qu’il eut critiqué la déclaration de Xi selon laquelle tous les médias chinois devaient servir le parti.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le magnat de l’immobilier à la retraite Ren Zhiqiang, photographié ci-dessus en 2012, a été condamné à 18 ans de prison pour avoir critiqué Xi Jinping.

Je connais Ren depuis 2010. Mais depuis son arrestation en mars 2020, je n’ai eu aucune communication directe avec lui. Ses amis non plus. Aucun d’entre nous n’a une connaissance directe de sa vie en prison.

Quelques jours avant son arrestation, Ren m’a dit qu’il devait subir une biopsie parce qu’il soupçonnait un cancer de la prostate. Depuis des mois, des personnes qui ont communiqué avec sa famille m’ont dit qu’il ne recevait pas de traitements appropriés pour ses problèmes de prostate et qu’il se levait une douzaine de fois par nuit pour aller aux toilettes. Je ne peux pas contacter les membres de sa famille parce qu’accorder des entrevues aux médias étrangers pourrait leur attirer des ennuis.

Gao Zhisheng était un avocat spécialisé dans la défense des droits de la personne qui a passé des années en prison et a été torturé, avant de disparaître en 2017. Sa famille est sans nouvelles de lui depuis. Personne ne sait où il se trouve ni même s’il est en vie. À l’heure actuelle, très peu de Chinois connaissent son nom.

« La disparition [des dissidents] est un phénomène courant », écrit Guo Yushan, un militant qui a aidé l’avocat Chen Guangcheng à demander l’asile aux États-Unis en 2012.

[Les dissidents] sont poussés à l’extinction par le système, évités et cachés à la société dominante, oubliés par le public. Et souvent, plus leur résistance est forte, plus leur disparition est profonde.

Guo Yushan

Guo a écrit ces mots en 2013, la première année du règne de Xi, pour une organisation qui offrait une aide financière aux familles de prisonniers politiques. De tels programmes seraient inimaginables dans la Chine d’aujourd’hui. Guo lui-même a disparu de la scène publique après avoir été libéré au terme de près d’un an de détention en 2015.

Teacher Li prêt au pire

Dans une société aussi étroitement contrôlée que la Chine sous Xi, il est impossible pour quiconque d’avoir le rayonnement qu’avait Navalny. La plus grande crainte du Parti communiste, ce sont les organisations et les individus qui pourraient remettre en cause son pouvoir. C’est pourquoi il n’aime pas les groupes religieux ou les organisations non gouvernementales. Il craint les entrepreneurs qui, selon lui, ont le pouvoir financier et les compétences organisationnelles nécessaires pour représenter une menace pour le parti.

Il étouffe toute étincelle susceptible de se transformer en feu de brousse.

En ce moment, le parti semble obsédé par Teacher Li, un influenceur des réseaux sociaux dont l’avatar est un chat. Li Ying est un peintre qui, en 2022, a fait de son compte X un centre d’information unipersonnel informant le public chinois des nouvelles que ne transmettent ni les médias ni l’internet, fortement censurés. Cette semaine, il a demandé à ses abonnés en Chine de ne plus le suivre parce que la police avait interrogé certains d’entre eux. En l’espace d’une journée, le nombre de ses abonnés est passé de 1,6 million à 1,4 million.

Li, qui vit à Milan, en Italie, m’a dit l’année dernière qu’il se préparait psychologiquement à l’éventualité d’être assassiné.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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