Le lancement raté d'un satellite nord-coréen hier matin a ravivé les tensions dans la péninsule nord-coréenne. Les États-Unis, la Corée-du-Sud et le Japon cherchent à répondre avec décision, sans provoquer une escalade avec ce État totalitaire fragilisé par la santé précaire de son leader. Des quotidiens sud-coréens rapportent de leur côté que Pyongyang aurait invité des acheteurs potentiels de missiles à assister au lancement.

Le président Barack Obama a affirmé que la Corée-du-Nord s'était «isolée de la communauté des nations» en procédant hier matin à un lancement de satellite raté. Mais hier soir, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas réussi, en réunion d'urgence, à s'entendre sur une résolution condamnant Pyongyang. 

En affirmant avoir procédé à un lancement de satellite, la Corée-du-Nord complique les efforts des États-Unis, de la Corée-du-Sud et du Japon, qui veulent punir l'«État hermite». C'est que la résolution 1718 du Conseil de sécurité interdit les tests de missiles balistiques, mais pas les lancements de satellites, qui sont protégés par deux traités de l'ONU que la Corée-du-Nord a ratifiés cet hiver.

 

«Quand la résolution 1718 a été négociée en 2006, le compromis entre les États-Unis et la Chine avait été de ne mentionner que les missiles balistiques», explique Joseph Bermudez, analyste pour la revue spécialisée Jane's. «Les États-Unis auraient aimé restreindre aussi les activités civiles pouvant servir à des fins militaires, comme les lancements de satellites, mais ça n'avait pas été possible.»

Pour le moment, les protestations sont cantonnées dans la rhétorique. «Nous allons immédiatement consulter nos alliés dans la région et les membres du Conseil de sécurité pour en discuter au Conseil», a déclaré M. Obama.

La seule action concrète a été sud-coréenne. Séoul a affirmé qu'il participerait à l'Initiative de prolifération et de sécurité, un groupe de 15 pays formé à l'instigation des États-Unis en 2003 pour surveiller les avions et les navires à destination et en provenance de la Corée-du-Nord et éviter qu'ils ne servent à l'importation ou à l'exportation de matériel militaire illégal. La Corée-du-Sud se contentait jusqu'à maintenant d'un statut d'observateur, pour ne pas froisser son voisin du Nord, qui avait déclaré que la participation du Sud à l'Initiative serait un «acte de guerre». La Russie y participe, mais pas la Chine.

Les réactions limitées jusqu'à maintenant sont très encourageantes, selon Daniel Pinkston, chef du bureau de Séoul du groupe de réflexion européen International Crisis Group. «Il faut absolument éviter l'escalade, estime M. Pinkston. Il y a en ce moment une faction dure à Pyongyang qui tente d'enrayer la timide ouverture sur le Sud des dernières années. Sur les dernières photos, on a pu voir que Kim Jong-il est très amaigri. Ça peut être un signe de cancer. On peut considérer que face à la confrontation, il n'aura pas le choix d'organiser sa succession avec les éléments plus rigides et hostiles de son gouvernement.»

Missile ou satellite?

En août 1998, un lancement similaire de la Corée-du-Nord avait aussi été qualifié de test de missile à longue portée. Mais deux semaines plus tard, l'armée américaine avait indiqué qu'il s'agissait bel et bien d'un lancement de satellite, mais qu'il avait échoué. C'est encore le cas, croit M. Bermudez de Jane's.

«Pour la Corée-du-Nord, il aurait été extrêmement prestigieux d'être la 11e nation à avoir envoyé un satellite en orbite avec un lanceur national», souligne M. Bermudez. Cela dit, il n'est pas faux de considérer que ces lancements de satellites font partie de la mise au point de missiles à longue portée, ajoute M. Bermudez. «Quand on réussit à placer un satellite en orbite, on a réglé la grande partie des problèmes de mise au point d'un missile à longue portée, parce qu'il s'agit du même lanceur, avec une charge utile et un système de guidage différents sous le cône.» La principale différence entre les deux types de lancement est la forme du cône situé au-dessus du lanceur.

La Presse a demandé à l'armée américaine s'il s'agissait d'un missile ou d'un satellite. «Les autorités maritimes et aériennes internationales ont été averties qu'un lancement de «satellite expérimental de télécommunications» aurait lieu au début du mois d'avril», a répondu laconiquement un porte-parole, le major Stewart Upton, avant le lancement. Dans un communiqué publié hier, le major Upton a qualifié le lancement à la fois de «missile» et de «lancement spatial», et précisé que la charge utile située dans le cône s'est abîmée dans le Pacifique entre le Japon et Hawaii.

Pour compliquer le problème, les Nord-Coréens ont affirmé que leur satellite de 1998 est resté en orbite pendant deux semaines, alors que personne n'a réussi à le détecter, note Jonathan McDowell, un astrophysicien de Harvard. Ils font la même affirmation cette fois-ci, mais aucune organisation étrangère n'a confirmé l'allégation. «Je crois qu'il s'agit d'un lancement de satellite, comme en 1998, dit M. McDowell. Mais évidemment, les Nord-Coréens ne se sont pas rendus pas la vie facile en ayant menti de manière aussi évidente en 1998.»

Le lanceur de satellite, appelé Unha-2, est aussi utilisé pour le missile Taepodong-2, capable de transporter une bombe de 500 kg sur 9000 km, une distance assez longue pour atteindre l'Alaska et le nord-ouest du Canada. Des sources militaires ont récemment révélé à M. Pinkston, de l'International Crisis Group, que la Corée-du-Nord a fabriqué plusieurs bombes nucléaires, mais il ne croit pas qu'elles soient assez petites pour être placées sur un Taepodong-2 à destination de l'Amérique du Nord. Les spécialistes estiment que le test d'hier a un peu mieux réussi que celui de 1998.