Le 3 octobre prochain, le dalaï-lama sera de passage à Montréal. Avant sa visite, il a accordé une entrevue en direct de Dharamsala où il vit en exil depuis 50 ans. La Presse lui a demandé si la crise actuelle est une occasion de redéfinir nos valeurs.

Q: La crise économique actuelle remet-elle en question le sens des valeurs morales et sociales existantes?

R: Il y a quelques années, durant une de mes visites au Japon, j'ai parlé des besoins des gens, sans leur donner l'espoir que l'économie continuerait incessamment d'évoluer. J'ai mentionné qu'il était important d'accepter qu'il y ait des limites, que c'est vraiment mieux et plus sain. Deux ans plus tard, le Japon entrait en récession et certains sont venus me remercier de les avoir préparés mentalement à affronter la crise. Le problème, c'est que notre société se laisse beaucoup trop dominer par des valeurs basées sur la consommation et les gens définissent leur bonheur par des critères matériels, en oubliant qu'en fait, la vraie source du bonheur est loin de tout ça. Je suis quasiment sûr que durant cette crise économique, les gens dont les valeurs sont autres que matérielles - et principalement basées sur des liens familiaux solides, sur une profonde vision spirituelle de la vie et du bon sens commun - seront plus capables et disposés à faire face aux difficultés de la crise, dont la perte d'un emploi.

À l'opposé, ceux dont les valeurs sont purement matérielles risquent de souffrir davantage puisque leur bien-être en aura pris un coup.

Q: Est-ce un bon moment pour redéfinir nos valeurs morales?

R: Je souhaite que cette crise économique, l'une des plus difficiles de notre temps, apporte un profond questionnement et une remise en question sur le sens de nos valeurs et nos priorités. L'une des choses importantes est qu'elle aura prouvé la fragilité du matérialisme en temps que principe de base d'une vision viable de la vie. Toutefois, elle nous donne la chance d'expérimenter, en toute simplicité, un style de vie qui doit être basé principalement sur le contentement et être en parfait accord avec une attitude responsable envers l'environnement.

Q: Comment en est-on arrivé là? Comment des gens comme Madoff, à l'origine de la fraude de Wall Street, ont-ils pu tromper des milliers de personnes? Le sens de nos valeurs a-t-il si radicalement régressé?

R: La plupart des gens partagent le même avis concernant la crise financière actuelle, qui, en fait, est le résultat d'un manque total de valeurs principales, entre autres l'honnêteté, l'intégrité et la transparence.

Récemment, j'ai demandé à un ami homme d'affaires les raisons de la crise économique actuelle. Il m'a expliqué qu'il y avait trois raisons principales: l'avidité, la spéculation et le manque de transparence. Tout porte à croire que le monde financier a su particulièrement créer une tendance selon laquelle le seul critère de succès qui compte repose sur la rentabilité des investissements. En suivant cette perspective, il est certain que les valeurs essentielles telles que la transparence, l'intégrité et le sens des responsabilités, qui sont les bases propres d'une bonne gestion financière, ont été sérieusement compromises. Cette situation a pu créer un contexte où l'avidité humaine s'est engouffrée sans aucune restriction.

Q: Quels sont vos conseils pour que les gens reprennent confiance et retrouvent un sens à leurs valeurs sociales et morales?

R: Je pense qu'il est important de se souvenir que, dans certains cas, tous ceux qui participent à la consommation actuelle font partie aussi de leur propre contribution. Je pense que dans une société glorifiée matériellement, avec un style de vie excessif, il ne faut pas seulement blâmer le monde des affaires et des finances pour son excès et son avidité.

Dans le but de regagner la confiance des gens envers la société actuelle, je pense que nous devrions trouver une façon pour que chaque individu puisse retrouver ce qui lui importe le plus, et pour que ceux à qui on a confié notre épargne gagnée durement la gèrent avec le respect que mérite la richesse des autres. Là aussi, je pense que les lois pourraient jouer un rôle important. Enfin, nous avons besoin de trouver une façon de faire valoir la compassion comme la base, le pilier majeur de toutes nos valeurs.

Le dalaï-lama à Montréal

Le chef spirituel des Tibétains sera à Montréal le 3 octobre prochain et donnera une conférence au Centre Bell, sur un sujet qui lui tient à coeur: la promotion de l'éthique par l'enseignement. Cette conférence intitulée L'Éducation du coeur: la puissance de la compassion portera sur les valeurs qu'il faut promouvoir pour améliorer notre monde. Rappelons que la philosophie du moine prône la responsabilisation, la tolérance et l'accroissement de la compassion comme les meilleures méthodes pour obtenir un règlement pacifique aux conflits et aux injustices.

Le dalaï-lama s'était montré particulièrement emballé, l'été dernier, par le fait que les enfants du Québec bénéficiaient d'un enseignement multiconfessionnel.