«Hé man! Tu sais quoi? Je suis légal!»

L Romal M Singh éclate de rire et se renverse dans son sofa. À la télé, on diffuse la nouvelle historique: hier, la Haute Cour de Delhi a décriminalisé l'homosexualité en Inde, jusque-là passible de 10 ans d'emprisonnement. «Une immense, immense décision», dit M. Singh, 22 ans, dont l'appartement de Bangalore s'est rapidement rempli d'amis venus le «féliciter» pour son nouveau statut.

La Haute Cour de Delhi a jugé que l'article 377 du Code pénal indien, qui criminalise l'homosexualité et les relations sexuelles «contre nature», représente une «violation des droits fondamentaux». L'article datait de l'époque ou l'Inde était une colonie britannique.

La décision ne s'applique qu'à la capitale, New Delhi. Mais les gais de partout en Inde ont célébré, hier, s'attendant à ce qu'elle fasse boule de neige.

À Bangalore, un rassemblement s'est organisé au United Theological College pour fêter la chose. En soirée, une trentaine de gais se sont aussi réunis au bar NASA, un estaminet surréaliste bâti en forme de vaisseau spatial, pour souligner l'événement à grands coups de pintes de bière.

À la télévision, pendant ce temps, les principaux leaders religieux, autant hindous et musulmans que chrétiens, dénonçaient la décision, affirmant que l'Inde succombe aux valeurs occidentales et tourne le dos à ses traditions.

Omi Gurung, un jeune styliste de mode de 23 ans qui tient un blogue traitant des questions homosexuelles, était tout simplement euphorique. «Beaucoup de gens se sont battus pour ça au fil des années, et plusieurs y ont laissé leur vie», a-t-il dit, soulignant que les suicides chez les homosexuels sont fréquents en Inde.

Le jeune gai a grandi à Bangalore et dit ne pas avoir souffert de discrimination. Il avoue cependant qu'il lui a fallu du courage pour sortir du placard dans une société où la religion et les traditions dictent encore les comportements.

«En Inde, ça prend des couilles pour dire que vous êtes gai. Il faut être un vrai homme», lance-t-il en riant.

L Romal M Singh, lui, a annoncé son orientation sexuelle à sa mère à l'âge de 16 ans. Il croit que sa réaction est typique de bien des familles indiennes de la classe moyenne.

«Elle m'a dit que c'était bien correct. Sauf qu'elle m'a aussi averti qu'il n'y avait aucun motif d'en être fier et l'a toujours caché. Elle est encore déchirée entre ses convictions religieuses et son désir d'être une bonne mère.»

Omi Gurung rappelle que si les gais sont bien acceptés dans les grandes métropoles du pays, il en est tout autrement dans les campagnes, où vivent 70% des Indiens.

«Le jugement va enfin permettre aux gais des régions rurales de respirer un peu», dit M. Gurung, qui croit que les autorités perdront ainsi l'argument qui leur permettrait de réprimer l'homosexualité par la peur et de faire du chantage.