Quatre habitants sur dix sont des Ouïgours dans la région autonome du Xinjiang, qui est actuellement sous haute tension. Notre journaliste y a séjourné. Elle nous parle aujourd'hui du peuple ouïgour, turcophone et musulman. De sa différence et de sa cohabitation souvent problématique avec les Hans, l'ethnie majoritaire en Chine.

La différence ouïgoure saute aux yeux, pour quiconque arrive au Xinjiang. Le visage souriant des habitants et leur aplomb à discuter avec les étrangers de passage; leurs yeux pâles immanquables contre leur teint foncé. Les accents turcophones. L'odeur de grillades des étals de brochettes épicées qui est soufflée dans l'air poussiéreux.

 

Rien à voir avec Pékin, Shanghai ou même le sud de la Chine si souvent visité par les touristes. Cette province de l'extrême ouest de l'empire du Milieu ne figure d'ailleurs pas souvent sur les itinéraires touristiques.

D'abord, elle est difficile d'accès. Plus de deux éreintantes journées de train de Pékin, dans des conditions pas souvent idéales. En avion, les liaisons à partir de la capitale sont fréquemment coupées, pour cause de tempêtes de sable. Car le Xinjiang est une province de déserts. Turfan, par exemple, ressemble à un mirage.

Dans le mythique désert de Taklamakan, cette petite ville est frappante de verdure, fruit d'un ingénieux système d'irrigation. Si efficace, ce système, qu'à Turfan, on fait pousser la vigne et on produit un vin rouge, pour consommation locale. Les habitants en sont néanmoins très fiers et l'offrent volontiers aux visiteurs.

Mosquées et temples

Au premier regard, rien ne laisserait deviner que Turfan se trouve sur un territoire explosif. Dans les rues, les mosquées voisinent les temples. La vie paraît paisible. Mais au marché, on vend des tapis et des ragoûts de mouton qui nous rappellent que la province a bien plus à voir avec le Pakistan voisin qu'avec la métropole chinoise.

L'affichage y est bilingue, puisque contrairement à d'autres Chinois de confession musulmane, les Ouïgours ne parlent pas le mandarin, traditionnellement. Il n'est d'ailleurs pas rare de croiser dans les rues d'Urumqi, la capitale provinciale où se sont déroulés les sanglants affrontements de la fin de semaine dernière, des vieux qui ne comprennent toujours pas un mot de mandarin.

En 1949, au moment où Mao Zedong et les communistes ont pris le contrôle à Pékin, il y avait une écrasante majorité ouïgoure dans le Xinjiang qui était une province autonome, le Turkestan oriental. Trois Chinois sur quatre étaient ouïgours, alors que les Hans ne représentaient à peine plus de 6% de la population. Ces Chinois «de souche» comptent maintenant pour 40% de la population du Xinjiang, grâce à la politique d'immigration incitative de Pékin qui favorise leur établissement dans des provinces où les minorités sont particulièrement visibles. Les Ouïgours sont toujours majoritaires au Xinjiang, mais on estime qu'ils ne représentent plus que 45% de la population.

Assimilation forcée

La capitale, Urumqi, où se prennent les décisions politiques, est le seul endroit où les Hans sont majoritaires. Le mouvement nationaliste ouïgour se nourrit de cette assimilation forcée. Les enfants issus de mariages mixtes sont de facto des Hans. Ils ne peuvent pas aller à la mosquée, tout comme les officiels du Parti communiste, à qui l'entrée à la mosquée est aussi interdite.

Sous cette couverture d'interdiction, les mouvements indépendantistes s'activent, en organisant des manifestations, bien qu'elles soient défendues et sévèrement maîtrisées. Depuis 10 ans, l'internet a toutefois donné du souffle aux groupes indépendantistes, surtout à l'extérieur de la Chine.

Le Xinjiang, qui signifie littéralement «nouvelle frontière», a toujours obtenu beaucoup moins d'attention internationale que son voisin, le Tibet.