Dans un passé pas si lointain, Rebiya Kadeer était l'illustration même du succès à la chinoise: femme d'affaires aguerrie, née dans une famille sans le sou, elle était appelée avec respect «la millionnaire» et faisait partie d'importants comités communistes. Une décennie plus tard, cette même femme est la bête noire du régime de Pékin, qui l'accuse d'être à l'origine des émeutes ethniques qui secouent le Xinjiang.

L'allégation selon laquelle Mme Kadeer aurait incité ses partisans à se soulever contre l'ethnie majoritaire chinoise, les Hans, est la dernière d'une longue liste. Le gouvernement communiste soutient aussi que Mme Kadeer, qui appartient à la minorité ouïgoure –musulmane et turcophone–, entretient des liens avec le Mouvement islamique du Turkestan oriental, un groupe qui figure sur la liste des organisations terroristes du département d'État américain.

 

Pékin avance par ailleurs que l'ancienne femme d'affaires, exilée aux États-Unis d'où elle dirige le Congrès mondial ouïgour, une organisation de la diaspora, prône le «séparatisme» du Xinjiang et, par le fait même, l'éclatement de l'empire du Milieu.

 

Les partisans de Mme Kadeer ont une tout autre opinion de la mère de 11 enfants (et grand-mère à maintes reprises), qui a passé 6 ans dans une prison chinoise avant d'être expulsée de force vers les États-Unis.

«Elle est le dalaï-lama des Ouïgours, a dit hier à La Presse Kayum Masimov, de l'Association ouïgoure du Canada. Elle se bat pour les droits humains de notre peuple et pour son autodétermination. Elle prône la non-violence», a-t-il soutenu, faisant écho aux propos qu'a tenus cette semaine la principale intéressée devant un groupe de journalistes à Washington.

 

Du tailleur à la toppa

 

Pour beaucoup d'Ouïgours dispersés dans le monde, Rebiya Kadeer est devenue une icône de leur identité. Née en 1942, elle a d'abord été blanchisseuse. À l'époque, les lois ne permettaient pas aux Ouïgours de faire des affaires. Dès que cette règle a été assouplie, Rebiya Kadeer s'est lancée dans le commerce et a fait fortune. «Longtemps, le gouvernement chinois a fait d'elle un symbole, l'affichant partout pour montrer comment la Chine traitait bien ses minorités», se souvient Kayum Masimov.

 

Mais tout cela a changé en 1996. Cette année-là, le mari de Mme Kadeer, militant des droits humains au Xinjiang, s'est exilé aux États-Unis. Quelques mois plus tard, les autorités ont confisqué le passeport de Mme Kadeer. Ce durcissement de l'État n'a pas empêché la «millionnaire» de fonder, en 1997, le projet des «1000 mères» pour aider d'autres femmes de son ethnie à devenir entrepreneuses.

 

Deux ans plus tard, Rebiya Kadeer a été arrêtée puis incarcérée pour avoir « transmis des informations » qui mettaient la «sécurité nationale en danger». Selon les notes de cour, l'État chinois lui reprochait d'avoir fait parvenir à son mari des articles de journaux chinois. Pour ce crime, elle a été condamnée à sept ans de prison.