Mahamed Allaudhin ravale ses pleurs et lève les yeux. «Je vais vous raconter mon histoire», annonce-t-il.

Mahamed a 12 ans. Son histoire, c'est pratiquement la même que celles des dizaines de garçons qui l'entourent.

Nous avons rencontré Mahamed dans les locaux de l'organisme gouvernemental Child Welfare Committee (CWC).Tous les garçons de Bangalore retrouvés seuls ou extirpés des réseaux illégaux dans lesquels ils sont tombés aboutissent dans cet immense orphelinat temporaire.

En ce mardi matin, une trentaine de nouveaux arrivants attendent d'être interrogés par les bénévoles du CWC. Si certains jouent et se chamaillent, la grande majorité regarde par terre en pleurant, l'air complètement perdu.

 

Mahamed est né au Bihar, l'État le plus pauvre de l'Inde. Après un voyage en train de plusieurs jours, il est débarqué à Bangalore, seul au milieu d'une métropole où la langue de la majorité, le kannada, ne lui dit rien.

Que diable fait-il là? «Je suis venu étudier», déclare-t-il en bombant le torse. Ses parents? Il ne les a pas avertis de son grand départ.

La suite du récit est confuse. Il est question d'un cousin qui fabrique des sacs de cuir et que Mahamed a essayé de retrouver. Comment s'est-il retrouvé au CWC? Il est incapable de l'expliquer. Les bénévoles, qui reçoivent entre 20 et 70 garçons chaque semaine, ne s'en souviennent pas non plus.

ONG c. trafiquants

Mahamed a eu de la chance. Les ONG ont réussi à mettre le grappin sur lui avant que les réseaux de trafiquants ne le fassent. À la gare de Bangalore, les deux groupes jouent carrément de vitesse pour recueillir les dizaines d'enfants qui débarquent immanquablement chaque jour en ville, poussés par des rêves naïfs d'une vie meilleure.

«Des trafiquants ont déjà attaqué des ONG qui tentaient d'aider les enfants», affirme le journaliste B V Shiva Shankar.

Au CWC, des bénévoles interrogent les enfants, les encourageant à coups de sourires à sortir de leur coquille. «On cherche à avoir un nom de village, le nom des parents, un numéro de téléphone», dit Vasudeva Sharma. Un travail de détective qui se déroule tantôt en kannada ou en hindi, tantôt en tamoul ou en marathi.

Si la famille peut être retracée et qu'elle est en mesure d'accueillir l'enfant, il y est renvoyé. Sinon, il demeure à l'orphelinat jusqu'à ce qu'on lui trouve une famille d'accueil.

Si le trafic d'enfants est si florissant en Inde, c'est en grande partie parce qu'il est alimenté par un flot incessant d'enfants qui, poussés par la pauvreté, convergent vers les villes.

Pauvreté et ignorance

«Le trafic d'enfants en Inde doit être compris du point de vue économique, social et culturel», dit M. Sharma, selon qui la pauvreté et l'ignorance amènent même certains parents à vendre leurs propres enfants.

«Les gens ne vont pas au marché pour vendre leurs enfants. Ça ne se fait pas comme ça, s'empresse-t-il de préciser. Pensez-y: vendre votre maison, votre voiture ou votre terre, c'est déjà émotif. Alors vendre votre propre enfant... C'est pour ça que ça se fait de façon détournée, de façon déguisée.»

C'est ainsi, explique-t-il, qu'une famille pauvre se laissera convaincre de laisser partir sa fille vers une «bonne maison» en échange d'un peu d'argent.

«Ce sont des gens non instruits qui se font berner par de fausses promesses, dit M. Sharma. Ceux qui ont du pouvoir trouvent toujours le moyen d'abuser de ceux qui n'en ont pas. Et le trafic d'enfants n'est qu'une manifestation de cet abus.»