La Cour suprême de Thaïlande décidera vendredi si elle saisit tout ou partie de la fortune de Thaksin Shinawatra, un verdict qui obsède le pays depuis des mois et fait craindre une poussée de violences de la part des partisans de l'ex-premier ministre en exil.

Officiellement, jusqu'à 35 000 policiers et militaires ont été déployés dans la capitale et dans les régions favorables à l'ancien chef du gouvernement.

Et la sécurité a été renforcée autour des neuf magistrats de la Cour qui trancheront sur le sort des 76,6 milliards de bahts (2,3 milliards de dollars) que représente la fortune actuelle du magnat des télécoms, gelée après le coup d'État militaire qui l'a renversé en 2006, et dont l'accusation affirme qu'elle est le fruit d'abus de pouvoir.

Le pays craint une réaction épidermique des «chemises rouges», les partisans de Thaksin responsables en avril 2009 de manifestations violentes qui avaient forcé le gouvernement à annuler un sommet asiatique et avaient fait deux morts.

«La police n'empêchera pas les manifestants de venir à Bangkok s'ils défilent de façon pacifique. Nous prendrons nos responsabilités pour assurer la sécurité et pourrons si nécessaire faire appel à l'armée», a indiqué le porte-parole de la police de Bangkok, le colonel Piya Utayo.

Le gouvernement s'est dit prêt à recourir à une loi d'exception, voire à décréter l'état d'urgence. La semaine dernière, une bombe avait été désamorcée près de la Cour et une grenade avait explosé sans faire de victime. Les ambassades américaine, britannique et australienne ont conseillé la prudence à leurs ressortissants.

Thaksin, seul premier ministre à avoir jamais été réélu, avait soulevé une partie de la Thaïlande contre lui en vendant la moitié des parts de son entreprise de communication, Shin Corp., au groupe singapourien Temasek sans payer de taxe sur la transaction.

Les fonds sont ceux que la cour doit décider ou non de saisir.

Condamné à deux ans de prison pour malversations financières dans un dossier distinct, menacé par d'autres affaires, Thaksin vit depuis 2008 en exil mais s'adresse régulièrement par vidéo-conférence à ses partisans, dénonçant une justice aux ordres du pouvoir.

Et il continue de dominer la scène politique entre masses rurales du nord et du nord-est qui le vénèrent, et élites traditionnelles de Bangkok - palais royal, armée, haut fonctionnaires - qui le détestent.

Un fossé de plus en plus large se creuse au coeur de la société. Les «chemises rouges» veulent son retour et réclament un meilleur partage des richesses, quand les «chemises jaunes» royalistes veulent le rayer du paysage politique, dénoncent son affairisme et brandissent la menace qu'il représente selon eux contre la monarchie.

La presse thaïlandaise s'est faite l'écho depuis trois mois de risques de flambée de violences autour de ce verdict et d'hypothèses de coup d'État. Mais certains analystes estiment que le mouvement, qui n'a jamais rassemblé plus de 30 000 manifestants depuis six mois, se marginalise.

«Tant que Thaksin ne parvient pas à provoquer un changement en profondeur dans la scène politique thaïlandaise, il restera sur la touche», estime Paul Chambers de l'université allemande d'Heidelberg.

Son parti, «le Puea Thai, est dans l'opposition. Ses alliés dans l'armée son minoritaires. Les chemises rouges n'ont pas empêché le parlement de fonctionner».

Mercredi, les «rouges» ont annoncé une grande manifestation, quel que soit le verdict. Mais pas avant le 14 mars prochain.