Des militaires qui ont reçu des pots-de-vin pour truquer les élections. Des journalistes à qui l'on envoie des arrangements floraux funéraires en guise de menace. Des candidats assassinés. Les allégations de fraude et d'intimidation fusent de partout ces jours-ci aux Philippines alors que 50 millions d'électeurs se préparent à choisir un nouveau président le 10 mai.

Des allégations qui préoccupent plusieurs organisations internationales, dont Transparency International, qui a classé les Philippines parmi les 50 pays les plus corrompus de la planète, et qui inquiètent assez cinq Montréalais pour que ces derniers décident de s'acheter des billets d'avion pour se rendre dans l'archipel d'Asie de l'Est. Là-bas, ils rejoindront au cours des prochains jours une mission internationale d'observation des élections.

 

On ne parle pas ici d'une initiative mise sur pied par les Nations unies ou par un gouvernement quelconque, mais plutôt d'une démarche citoyenne qui vise à faire venir aux Philippines des paires d'yeux des cinq continents. «Les organisations non gouvernementales et les gens que nous connaissons aux Philippines sont témoins de fraudes et d'actions qui vont à l'encontre du processus démocratique, mais ils n'ont pas de voix. Nous y allons pour être cette voix», a expliqué à La Presse Laura Cliche, qui fait partie des cinq observatrices montréalaises.

Massacre et peur

Cette dernière connaît particulièrement bien le pays et la violence politique qui le secoue. Étudiante à la maîtrise à l'Université de Montréal, elle faisait un stage au sein de l'Union nationale des journalistes philippins lorsqu'une délégation de femmes philippines, tentant d'inscrire des membres de leur clan sur la liste électorale, ont été assassinées avec les journalistes et les avocats qui les accompagnaient en novembre dernier. Mme Cliche a pris part à l'enquête internationale sur ce massacre politique, un des pires de l'histoire du pays.

En préparant sa nouvelle mission, elle s'est vite rendu compte qu'un climat de peur paralysait les militants de gauche et les journalistes qu'elle a rencontrés l'an dernier. «Il y a de plus en plus de disparitions. La peur a forcé beaucoup de gens à arrêter de militer», expose-t-elle.

Lors des élections du 10 mai, les électeurs philippins seront appelés à choisir 17 000 élus, dont un président qui remplacera Gloria Macapagal-Arroyo, numéro 1 des Philippines de 2001 à 2010.

Bataille de titans

La lutte électorale qui est en cours en est une de titans. Dans le coin gauche, favori des sondages, se trouve Benigno «Noynoy» Aquino III, fils de Corazon Aquino. En 1986, Mme Aquino a dirigé le mouvement populaire qui a provoqué la chute du dictateur Ferdinand Marcos.

Dans le coin droit, Manuel Villar, plus grand promoteur immobilier des Philippines. Est aussi dans le ring Joseph Estrada, le Ronald Reagan de la politique philippine. Acteur de films d'action devenu président en 1998, il a été renversé en 2001 pour une question de corruption. À la suite d'un pardon, accordé par Mme Arroyo, il tente aujourd'hui un retour dans l'arène.

Imelda Marcos, femme de l'ex-dictateur, aujourd'hui âgée de 81 ans, se présente aussi comme députée. «Aux Philippines, 80 grandes familles font la loi. Est-ce que ces élections réussiront à changer la donne? Probablement pas. Il fait voir maintenant jusqu'à quel point elles seront entachées par des fraudes électorales», note Dominic Caouette, expert des Philippines à l'Université de Montréal. Les observateurs montréalais tenteront à leur manière de répondre à sa question.