Dans le labyrinthe d'un quartier surpeuplé de New Delhi, où les adresses griffonnées au stylo sur les murs sont à peine lisibles, Kalpana Singh frappe aux portes en bois, s'aventure dans les arrière-cours, grimpe sur les terrasses surchauffées. Son défi: recenser tous les habitants.

L'Inde s'est lancée début avril dans la titanesque tâche de comptage de sa population de plus d'un milliard d'habitants pour réactualiser des données vieilles de dix ans. Dans la capitale fédérale, le patient travail de fourmi de milliers de fonctionnaires a commencé début mai.

Trois coups à la porte branlante et un homme atteint de poliomyélite, une jambe molle flageolant sur des béquilles, ouvre son logis à Kalpana Singh, une enseignante recrutée par le gouvernement. Sous ses yeux, une pièce aveugle de 2m sur 2, dotée d'un grand lit sous une applique sans ampoule.

Sourire rassurant aux lèvres, elle s'apprête à expliquer le but de sa visite tandis que ses yeux s'habituent à l'obscurité. Mais elle avise soudain une échelle communiquant avec un entresol et une terrasse. Finalement, huit personnes vivent à cette adresse.

«Avez-vous des toilettes? Un téléphone portable? Un compte en banque? De quelle caste êtes-vous?». À chaque foyer visité, Kalpana pose une trentaine de questions et reporte les réponses au crayon à papier sur des feuilles volantes. La religion n'est pas demandée, mais elle est déduite des noms de famille.

De nombreuses voix se sont élevées contre le rajout à la dernière minute de la mention de l'appartenance à une caste, la star de Bollywood Amitabh Bachchan, indignée, ayant pour sa part clamé qu'il était Indien et rien d'autre.

Kalpana, épaulée par deux adolescents de ce quartier à majorité musulmane qui lui servent de guide, doit se rendre dans quelque 400 foyers.

«Quelle est votre date de naissance?», demande-t-elle à une femme voilée qui la reçoit sur le palier. Après une première réponse hésitante, la femme s'absente et revient avec une vieille photocopie d'un livret de famille pour s'assurer qu'elle a dit vrai.

Certains avancent un âge qu'aucune preuve ne vient étayer.

Les 2,5 millions de fonctionnaires recrutés dans tout le pays ont reçu une formation de trois jours pour apprendre à bien remplir les cases et à convaincre les habitants de coopérer. Mais tous n'ont pas forcément retenu la leçon: un collègue croisé dans la rue assure qu'il suffit de relever le nom des habitants.

La plupart des personnes interrogées disposent de toilettes, ont l'eau courante et l'électricité, un téléphone portable, parfois un ordinateur «avec l'Internet». Personne ne déclare de voiture. Très peu ont un compte bancaire. Quant aux appareils électroménagers, le questionnaire les a oubliés.

La responsable de Kalpana, Reena Sharma, vient s'assurer que le travail se passe bien. Assises en tailleur dans l'une des deux pièces d'un logement sur la terrasse d'un immeuble décrépi, elles interrogent la grand-mère, un bandeau sur son oeil malade, pour connaître les détails des 13 membres de la famille.

«C'est une bonne expérience. Nous avons le privilège de remplir ce devoir, nous faisons quelque chose pour la nation», estime la responsable.

L'Inde, qui recense sa population depuis 1872, veut en outre profiter du recensement pour doter chaque citoyen d'un numéro unique d'identité.

Après le comptage physique, les fonctionnaires retourneront arpenter le deuxième pays le plus peuplé de la planète pour recueillir les données biométriques --empreintes digitales, scanner de l'oeil-- de chaque habitant.

Leur mission, d'un coût de 1,25 milliard de dollars, devrait se terminer mi-2011.