Après cinq jours de violentes confrontations avec l'armée thaïlandaise dans les rues de Bangkok, un des leaders des «chemises rouges» a montré un bout de drapeau blanc hier. Il a offert un cessez-le-feu au gouvernement, qui se dit prêt à l'accepter moyennant certaines conditions.

L'offre de Nattawut Saikuwa, un leader du mouvement de protestation, survient alors que le bilan des morts s'alourdit. Depuis jeudi dernier, au moins 37 personnes ont perdu la vie et 250 autres ont été blessées dans la lutte sans merci qui oppose les manifestants, critiques du gouvernement en place, aux forces armées.

 

Parmi les récentes victimes, qui viennent s'ajouter aux 25 premières à la mi-avril, figurent un des leaders les plus radicaux des chemises rouges, le général Khattiya Sawasdiphol, dont la mort a été confirmée hier. Il a été atteint d'une balle à la tête jeudi dernier.

Le négociateur principal du gouvernement, Korbsak Sabhavasu, a affirmé aux médias avoir reçu l'appel au cessez-le-feu de M. Saikuwa sur son cellulaire lors d'une conversation de cinq minutes hier.

Avant d'accepter son offre, M. Sabhavasu dit lui avoir demandé de regrouper ses troupes à l'intérieur des barricades que les chemises rouges ont érigées dans le quartier de Rajprasong. Au cours des derniers jours, les manifestants ont affronté les militaires à l'extérieur du périmètre qu'ils occupent depuis le mois d'avril. «S'ils rappellent (les protestataires) à Rajprasong, il n'y aura pas une seule balle tirée par les soldats», a dit le représentant du gouvernement hier.

Ce même gouvernement a récemment lancé un ultimatum aux quelques milliers de chemises rouges - 3000 selon les estimations officielles - qui sont toujours retranchées au coeur de Bangkok, leur demandant de quitter la zone barricadée avant 15h hier, sans quoi ils s'exposaient à deux ans de prison. L'appel, qui semble contredire les propos du négociateur gouvernemental, a été ignoré par les chemises rouges. L'armée, qui encercle les barricades faites de bambou et de pneus, est elle aussi restée sur ses positions hier.

Choix pragmatique

Selon Erik Kuhonta, spécialiste de la Thaïlande au département de sciences politiques de l'Université McGill, cette première offre de cessez-le-feu des chemises rouges est loin d'annoncer la fin du pire épisode de violences politiques en Thaïlande depuis les années 70. «Ce n'est pas une reddition ou un abandon de leurs idées politiques. C'est davantage une manière pragmatique de faire un retour à la table de négociations, explique le politologue. La magnitude de la violence dont a fait usage le gouvernement est telle que les chemises rouges ont dû réduire leurs actions, mais sans céder pour autant.»

Le camp des chemises rouges, qui demande la tenue de nouvelles élections parce qu'il considère le gouvernement en place illégitime, a notamment abandonné l'idée de pourparlers chapeautés par les Nations unies, une demande à laquelle s'opposait fermement le premier ministre Abhisit Vejjajiva. «Dans la culture politique asiatique, où la souveraineté est gardée jalousement, l'intervention extérieure est toujours vue avec scepticisme», note M. Kuhonta.

Le roi manque à l'appel

Plusieurs leaders politiques thaïlandais, dont certaines têtes d'affiche des chemises rouges, croient que le roi du pays, Bhumobol Adulyadej, est le seul à pouvoir réellement calmer le jeu. Or, la voix du monarque octogénaire, présentement hospitalisé, n'a pas été entendue une seule fois depuis le début de la crise politique en mars dernier. «En Thaïlande, le roi est l'arbitre ultime. Et la grande inconnue dans la crise actuelle, c'est l'opinion du roi. Dans les crises passées, le roi est toujours intervenu», note pour sa part Dominique Caouette, expert de l'Asie de l'Est et du Sud-Est à l'Université de Montréal.

Si, à ce jour, la communauté internationale est restée discrète à l'égard de la situation politique thaïlandaise, hier, des voix ont commencé à s'élever aux Nations unies. La haut-commissaire aux droits de l'homme, Navi Pillay, a demandé aux manifestants de calmer le jeu et enjoint aux forces de sécurité de faire preuve d'un maximum de retenue dans l'utilisation de la force. «Cette situation ne peut être résolue que par la négociation», a dit Mme Pillay.

Le gouvernement américain, un des principaux alliés de la Thaïlande, n'a pour le moment pas pris position sur les événements des derniers jours, se contentant de se dire «préoccupé».

Avec AP, AFP, le NYT, CNN