L'an dernier, la Chine a dépassé les États-Unis comme premier marché automobile au monde. Mais les autoroutes progressent beaucoup moins vite que les ventes de voitures. Pas étonnant que surviennent des embouteillages historiques, comme celui qui s'étend présentement sur 100 km au nord-ouest de Pékin et emprisonne certains automobilistes pendant plusieurs jours.

On se croirait dans les Mange-bitume, bande dessinée des années 70 dépeignant un monde où les humains habitent dans leur voiture perpétuellement en mouvement. Mais c'est un embouteillage bien réel qui immobilise depuis dix jours des milliers d'automobilistes chinois au nord-ouest de Pékin. Certains ont même vécu dans leurs voitures pendant cinq jours, selon des médias chinois cités par Le Monde.

Des travaux sur la route nationale 100 sont responsables de ce bouchon de 100 kilomètres de long, qui ne devrait pas se résorber avant un mois et demi. Les commerçants des villages voisins ont senti les bonnes affaires et vendent à prix d'or de la nourriture. Le quotidien français rapporte que le trafic peut être aussi lent qu'un kilomètre par jour.

«En y pensant bien, je ne suis pas surpris», explique Peter Hessler, correspondant du New Yorker en Chine, qui vient de publier le livre Country Driving, a Journey Through China from Farm to Factory. «La Chine est passée du quarantième au deuxième rang des pays comptant le plus d'autoroutes en moins de dix ans. Mais plusieurs chantiers ont été bâclés. Les prévisions sont aussi difficiles à faire tellement la situation est changeante.»

Le dernier plan quinquennal de l'industrie automobile chinoise prévoyait que le marché automobile chinois ne dépasserait celui des États-Unis qu'en 2020, selon l'Association des voitures chinoises, citée par le Guardian. Cela a eu lieu 11 ans plus tôt, en 2009, quand les ventes ont frôlé les 13 millions, contre 10,4 millions aux États-Unis. La crise économique n'est pas l'unique responsable de ce changement au palmarès: les ventes de voitures aux États-Unis étaient inférieures à 13 millions en 2008. La Chine avait déjà dépassé le Japon en 2006 comme deuxième marché au monde.

Pour mettre les choses en perspective, seulement 326 000 voitures ont été vendues en Chine en 1995, selon M. Hessler. «La conduite automobile est une activité totalement nouvelle, dit-il. Les gens conduisent à l'instinct. Si une voiture semble se diriger imperceptiblement vers la gauche, il faut deviner qu'elle va tourner. Ou peut-être pas. C'est la loi de la jungle.»

Sur son site internet, le département d'État des États-Unis prévient d'ailleurs les touristes potentiels que la Chine a l'un des plus hauts taux d'accidents au monde. «Les automobilistes ont en moyenne cinq ans d'expérience de conduite», prévient le site. Près de 10% des décès routiers dans le monde surviennent en Chine, selon l'Organisation mondiale de la santé. Avec trois fois plus de véhicules à moteur sur les routes que la Chine - si on compte les vélomoteurs -, les États-Unis ont 45% moins de morts sur les routes.

Une étude de 2004 du World Resources Institute montre que les villes chinoises ont de deux à six fois moins de superficie de routes par habitant que les métropoles occidentales. Le stationnement est tout aussi problématique, ce qui accentue les embouteillages.

Cela n'empêche pas les Chinois d'aspirer comme nul autre peuple à la propriété automobile. Selon le magazine Forbes, 74 millions de familles chinoises songent à en acquérir une. Un rapport de la banque suisse UBS calculait plus tôt cette année que si le nombre de propriétaires d'automobiles atteignait la moyenne occidentale, décuplant de 4% à plus de 50%, les ventes mondiales de voitures bondiraient de 5,7 fois.

CROISSANCE PRÉVUE DES VENTES DE VOITURES EN CHINE ET AUX ÉTATS-UNIS

Chine :

2000: 6,25 millions

2005: 17 millions

2010: 60 millions

2015: 90 millions

2020: 150 millions

2025: 200 millions

2030: 300 millions

2035: 370 millions

2040: 420 millions

États-Unis :

2000: 226 millions

2005: 248 millions

2010: 260 millions

2015: 320 millions

2020: 340 millions

2025: 350 millions

2030: 360 millions

2035: 370 millions

2040: 380 millions

SOURCES : Goldman Sachs, The Economist, BBC, BT