Depuis le début du mois, le gouvernement chinois recueille les doléances du peuple directement sur l'internet: «Ligne directe sur Zhongnanhai» -une antenne du journal officiel Le Quotidien du peuple- publie critiques, plaintes et commentaires. Une initiative présentée comme un «geste d'ouverture inhabituel» par les agences de presse.

Mais pour Zhou Shuguang, alias Zola, il ne s'agit que de frime. «Je pense que toute plainte sincère sur de vrais enjeux politiques sera censurée», dit ce journaliste-blogueur de la province du Hunan, dans un échange de courriels avec La Presse la semaine dernière. «Je pense que (les leaders) n'ont pas le temps d'en discuter.»

Quelles sont les plaintes publiées? Des commentaires «ennuyeux», dit Zola. Il en pointe quelques-uns: «J'aimerais qu'un institut Confucius soit établi dans chaque province», «L'État devrait être plus efficace avec moins de personnel», «N'oubliez pas que les leaders sont au service du peuple», «La corruption est le principal obstacle à l'édification d'une société harmonieuse»...

La censure toujours là

Rien pour impressionner la section chinoise de Human Rights Watch non plus. Derrière cet apparent geste d'ouverture, la censure est toujours là, dit l'organisme. Les règles du forum édictent en 26 points ce qu'il est interdit de publier: les propos qui menacent la sécurité d'État, la publication de secrets d'État, les propos subversifs et ceux qui entachent la réputation du pays, les écrits qui menacent l'ordre public...

«Une vraie farce», soupire André Laliberté, spécialiste de la Chine à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. «C'est tellement orwellien! Finalement, on ne peut pas écrire grand-chose.»

Il compare le site aux bureaux des plaintes à Pékin, qui sont chargés de recevoir des pétitions de citoyens qui ont un problème avec leur administration locale. «C'est une institution très ancienne, qui date d'avant les communistes, dit-il. Sauf que c'est un secret de Polichinelle que des gens sont embauchés pour intercepter les pétitions! Alors, sur l'internet, il leur suffira de retrouver l'adresse IP de l'expéditeur pour qu'un policier «l'invite à prendre le thé». «

Quelle ouverture?

Néanmoins, si le nouveau forum peut difficilement être perçu comme un véritable signe d'ouverture, les conjectures vont bon train sur l'assouplissement du régime en vue d'un changement de règne en 2012. «L'équipe dirigeante actuelle devra être changée en vertu des statuts du Parti», dit André Laliberté.

Déjà, le premier ministre Wen Jiabao en a surpris plus d'un en déclarant en août qu'une réforme politique était nécessaire. Mais deux semaines plus tard, le président Hu Jintao a tempéré ces déclarations. «Nous devons persister sur la route du développement politique avec des caractéristiques chinoises (...) et favoriser l'autodéveloppement du système politique socialiste.»

Il y aurait donc du mouvement au sein de la direction du Parti, observe M. Laliberté. Chacun des deux leaders semble souhaiter que leurs successeurs reprennent leurs idées. «Mais personne ne peut dire aujourd'hui si la Chine se dirige vers une réforme politique», dit-il.

Le site «Ligne directe sur Zhongnanhai» (en référence au quartier de Pékin où sont situés les bureaux du Parti) est, pour André Laliberté, une preuve que le Parti «est de plus en plus sophistiqué dans ses efforts pour montrer qu'il répond aux besoins de la population, ou pour faire sa propagande. Les dirigeants peuvent maintenant choisir les commentaires qui seront publiés pour démontrer qu'ils ont le soutien de la population».