En détention pendant 15 des 21 dernières années, Aung San Suu Kyi, résistante birmane et lauréate du prix Nobel, serait libérée quelques jours après les élections du 7 novembre, a-t-on annoncé hier. La grande question: pendant combien de semaines, cette fois-ci, sera-t-elle libre? Entrevue avec Micheline Lévesque, spécialiste de l'Asie à Droits et Démocratie, avant son départ pour la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande.

Q : Que représente Aung San Suu Kyi pour la Birmanie?

R : L'espoir. Elle est la fille de Aung San, qui a mené le pays à l'indépendance (tout juste avant d'être assassiné en 1947). Pour ce peuple, qui l'admire comme pas une, elle accepte toutes les privations depuis 21 ans, y compris de renoncer à voir son mari pour la dernière fois avant qu'il ne meure d'un cancer, à l'étranger. Si elle était sortie du pays, jamais elle n'aurait pu rentrer. Or elle se considère, à juste titre, comme un garde-fou contre les pires excès du régime. Tant qu'elle est au pays, même en étant assignée à résidence, elle assure une forme de protection pour son peuple et pour les membres de son parti de résistants, la Ligue nationale pour la démocratie.

Q : Vous l'avez rencontrée en 1999. Comment vous est-elle apparue?

R : Ce qui frappe, c'est à quel point ce petit bout de femme, toute menue, ultraféminine et douce, avec des fleurs dans les cheveux, peut faire si peur à 500 000 militaires! Le régime devrait pourtant finir par comprendre qu'elle est la seule à pouvoir assurer l'unité du pays.

Q : Sa libération, vous y croyez?

R : Autant que toutes les autres fois, c'est-à-dire pas vraiment! Sa vie des 21 dernières années, c'est cela: elle est arrêtée, elle est libérée, elle est arrêtée, elle est libérée. Et même quand elle est libérée, elle n'est jamais libre, comme cette fois, entre deux arrestations, où elle devait aller rencontrer des sympathisants et où on avait bloqué un pont pour l'en empêcher! Eh bien, elle était restée une semaine dans sa voiture, cette fois-là, résolue à ne pas rebrousser chemin! Les Birmans lui apportaient à boire, à manger, et les journalistes clandestins qui arrivent à transmettre de l'information au risque de leur vie faisaient dans leur média le décompte des jours qu'elle passait dans sa voiture!

Q : Et ces élections, veulent-elles dire quelque chose?

R : La date des élections a été choisie en fonction de la fin officielle de la libération d'Aung San Suu Kyi. C'est dire tout son poids. En libérant Aung San Suu Kyi et en organisant des élections - les premières depuis 1990 -, les militaires espèrent se refaire une beauté, obtenir une certaine légitimité à l'échelle internationale. Mais comment accorder quelque importance à des élections quand la Constitution, écrite par les militaires, leur garantit d'emblée 25% des sièges et exige leur appui pour tout amendement à venir?