Le sanglant massacre d'une délégation de 58 personnes par un groupe armé aux Philippines, en novembre 2009, a attiré l'attention de Human Rights Watch. Dans un rapport-choc rendu public aujourd'hui, l'organisation internationale explique comment une famille a réussi à semer la terreur pendant 20 ans avec la bénédiction du gouvernement de Manille.

Quand il a été arrêté par les autorités trois jours après que 58 cadavres eurent été découverts dans une fosse commune dans l'île de Mindanao, dans le sud des Philippines, Andal Ampatuan Jr. a demandé à ceux qui lui mettaient les menottes: «Dans quel hôtel allez-vous m'héberger?»

Fils du gouverneur de la province de Maguindanao, Andal Ampatuan Jr., aussi connu sous le nom de Datu Unsay, la municipalité dont il a été le maire, avait peine à croire que son arrestation puisse être plus qu'un spectacle sans conséquence, orchestré pour les caméras. Le clan auquel il appartient et dont son père est la figure de proue fait la pluie et le beau temps dans le sud des Philippines.

«Au cours de deux décennies, ce clan a commis des meurtres et d'autres abus avec le soutien d'élus gouvernementaux et des forces de sécurité du gouvernement», conclut l'organisation Human Rights Watch dans un rapport d'enquête rendu public aujourd'hui.

Dans le document de 53 pages, que La Presse a obtenu, Human Rights Watch explique comment la famille Ampatuan a régné sur la province de Maguindanao avec la bénédiction de plusieurs gouvernements philippins, dont celui de la présidente Gloria Macapagal-Arroyo, qui a gouverné le pays jusqu'en juin 2010.

Exécutions arbitraires

Dans une province où des groupes musulmans séparatistes armés font la vie dure aux forces gouvernementales depuis les années 70, la famille Ampatuan - musulmane, mais opposée à la sécession - est devenue une alliée du pouvoir central, a mis la main sur la majorité des sièges d'élus et a réussi à constituer une «armée privée» formée de 2000 à 5000 hommes armés qui terrorisent les opposants au clan. Plusieurs exécutions arbitraires, commises à l'aide de scies mécaniques, ont notamment été rapportées par des témoins. «Au lieu d'essayer d'arrêter ces milices qui commettent des actions criminelles, l'armée philippine et la police les fournissent plutôt en main-d'oeuvre, en armes et en les protégeant de toute poursuite», écrit Human Rights Watch.

Pourquoi? «La présidente Arroyo avait besoin du clan Ampatuan pour combattre le Front de libération islamique Moro (MILF), mais aussi pour s'assurer le vote lors de la dernière élection. Elle dépendait du clan pour gouverner la région», explique Elaine Pearson, directrice adjointe de Human Rights Watch en Asie, jointe à Los Angeles hier.

115 suspects en cavale

En novembre dernier, les 58 personnes qui ont été assassinées sont tombées dans une embuscade alors qu'elles tentaient de faire inscrire un candidat rival des Ampatuan sur la liste électorale. Craignant pour leur sécurité, les femmes de la famille du candidat avaient demandé à des avocats et à 30 journalistes de les accompagner. Tous ont été tués.

Le gouvernement a alors ouvert une enquête et identifié 195 suspects, dont plusieurs membres influents du clan Ampatuan. Cependant, à ce jour, 115 suspects n'ont toujours pas été arrêtés. Tout juste 19 individus, dont Andal Ampatuan Jr., sont présentement jugés.

Élu à la tête du pays en juin 2010, Benigno Aquino III a promis d'obtenir justice pour les victimes du massacre. Human Rights Watch implore le nouveau président d'aller plus loin. Rappelant qu'il existe une centaine de groupes semblables à celui des Ampatuan dans l'archipel, l'organisation de défense des droits humains demande au nouvel élu de démanteler les milices et groupes paramilitaires qui opèrent dans le pays.