Six mois après l'échec des manifestations du printemps, les leaders des «chemises rouges» thaïlandaises sont tous en prison. Alors ce mouvement rural et populaire s'est choisi une nouvelle présidente, fut-elle une intellectuelle non violente, en rupture avec la base.

Thida Thavornseth reconnaît d'ailleurs le paradoxe de sa promotion: professeur de microbiologie à la retraite, elle n'a jamais voulu de cette fonction.

Pire, elle ne témoigne d'aucune révérence à l'égard de Thaksin Shinawatra, ex-premier ministre, aujourd'hui en exil, accusé par le pouvoir d'avoir financé les manifestations.

«Je me fiche de Thaksin», dit-elle en riant de celui qui, quatre ans après avoir été renversé par un putsch, continue de diviser la Thaïlande.

Tout juste admet-elle que «peut-être la base pense différemment», même si le mouvement va selon elle bien au delà de la simple figure de l'ex-magnat des télécommunications.

Thida, 66 ans, est l'épouse de Weng Tojirakarn, un des principaux cadres «rouges», emprisonné comme les autres après l'assaut militaire sur le camp retranché des manifestants, en plein coeur de Bangkok, le 19 mai. Elle n'a aucune expérience publique.

Mais la débutante, récemment désignée par quelques cadres sans être adoubée par les militants, espère pouvoir imposer son discours posé, non violent, et veut tourner la page d'une crise ayant fait plus de 90 morts et 1.900 blessés.

«Nous continuerons à manifester mais nous devons faire plus attention à ne pas faire de dégâts. Nous devons utiliser le savoir, nos cerveaux», dit-elle alors que les «rouges» se sont souvent vus reprocher de manquer de vision.

Le mouvement a rassemblé jusqu'à 100 000 personnes, pour beaucoup venues des zones rurales du nord et du nord-est du pays, dans l'espoir de renverser un gouvernement jugé inféodé aux élites de la capitale.

Deux mois plus tard et après plusieurs affrontements meurtriers, l'armée a brisé les barricades et le pouvoir a poursuivi les opposants pour «terrorisme». Des élections, en principe, sont prévues avant fin 2011.

Thida veut faire sortir les leaders de prison mais doit, en attendant, combler le vide à la tête d'un mouvement aujourd'hui encore trop désuni pour adopter une stratégie cohérente.

Sans direction, dit-elle, «l'anarchie va se développer. Plusieurs groupes vont se former. Ils peuvent faire n'importe quoi. Quelque chose de grave pourrait se produire».

«Il faut conserver un mouvement démocratique pacifique. On ne peut laisser les gens faire n'importe quoi».

Son défi, immense, sera d'unifier cette force pour la convertir en machine de conquête électorale, elle qui a toujours vécu dans l'ombre, notamment en créant des «écoles» politiques pour les militants.

Le 10 décembre, elle n'a même pas pris la parole lors de sa première manifestation comme présidente. «Je serai heureuse quand les gens, les pauvres, pourront comprendre la politique, dire des choses intelligentes sur la politique, sur l'économie», dit-elle.

Son bagage idéologique, elle l'a puisé pendant les six ans où elle est restée cachée dans la jungle avec ses amis du Parti communiste, après la répression de manifestations étudiantes en 1976.

Un peu plus tard, elle verra un jeune homme tomber sous les balles de l'armée. «Ca m'a choquée et ça a changé ma vision du monde», se souvient-elle.

Et de promettre: «nous prévoyons un combat long, pas un combat d'un jour. Nous voulons un combat qui apportera des solutions durables».