La loi sur le blasphème fait une autre victime au Pakistan. Shahbaz Bhatti, ministre des minorités religieuses, a été criblé de balles hier à Islamabad. Les islamistes radicaux ne lui ont pas pardonné son combat pour la réforme de cette loi qui condamne à mort toute personne ayant manqué de respect au prophète Mahomet.

Il y a trois semaines, cet homme, qui se savait menacé, s'était dit prêt à mourir. «Des fanatiques pro-talibans ont menacé de me couper la tête. Mais en tant que chrétien, Jésus est ma force. Je suis prêt à mourir pour les principes que je défends», avait-il déclaré.

Hier matin, il sortait de la maison de sa mère, dans un quartier huppé du sud de la ville, quand une Suzuki blanche garée à la sortie de la rue lui a bloqué le passage. Deux hommes armés ont surgi du véhicule et tiré sur la Toyota noire du ministre.

«Tout s'est passé très vite, raconte un témoin du meurtre, Bahadar Khan. L'un des deux hommes a foncé du côté passager et a mitraillé l'intérieur de la voiture tandis que l'autre tirait sur le pare-brise avant.»

Shahbaz Bhatti est mort quelques minutes après son arrivée à l'hôpital. À l'entrée des urgences, son ami, le député chrétien Nelson Azeem, était sous le choc. Il a rappelé que le ministre assassiné avait pris la défense d'Asia Bibi, une catholique condamnée à mort il y a quatre mois pour blasphème envers le prophète Mahomet.

Au Pakistan, la loi interdisant le blasphème sert de prétexte pour régler des comptes personnels. Les libéraux et les associations de défense des droits de l'homme exigent son abrogation. Mais les partis islamistes défendent le texte: pour eux, l'honneur du prophète est en jeu.

«Shahbaz était sur la liste noire des islamistes radicaux, explique Nelson Azeem. Il avait reçu des menaces de mort par téléphone et avait demandé une protection rapprochée au président, au premier ministre et au ministre de l'Intérieur. En vain.»

Shahbaz Bhatti n'avait ni voiture blindée ni garde du corps au moment du meurtre, signe que le gouvernement actuel ne se préoccupe guère de la montée de l'islam radical.

Compromis

Affaiblis par une situation économique difficile et des accusations de corruption, le président Asif Ali Zardari et le premier ministre Yousouf Raza Gilani préfèrent jouer le compromis. La mort de Shahbaz Bhatti survient après celle de Salman Taseer, le gouverneur de la province du Pendjab assassiné le 4 janvier par un fanatique religieux pour son engagement en faveur d'Asia Bibi et d'une réforme de la loi sur le blasphème.

Sous pression, le premier ministre annonçait le 2 février que son gouvernement renonçait à modifier la loi. Un geste qui n'a pas suffi à apaiser les extrémistes. Après le meurtre, les assassins de Shahbaz Bhatti ont dispersé des tracts sur le sol. Signé par les talibans pakistanais et Al-Qaïda, le texte précise que le ministre a été assassiné pour son engagement et que tous ceux qui militent dans ce sens subiront le même sort.