Selon des sources sud-africaines, Jean-Bertrand Aristide, l'ex-président d'Haïti déchu de ses pouvoirs en 2004, quittera cet après-midi l'Afrique du Sud, où il vit en exil depuis sept ans, pour rentrer dans son pays natal. Si tout se déroule selon les plans et que les appels des États-Unis à retarder son voyage ne sont pas entendus, Aristide arrivera dans la Perle des Antilles tout juste deux jours avant le deuxième tour de l'élection présidentielle. Enjeux d'un retour annoncé en cinq questions et réponses.

Q Pourquoi Aristide veut-il rentrer maintenant en Haïti?

R Installé à Pretoria depuis son exil forcé en 2004, l'ex-président a commencé à parler de son retour au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti. L'ancien «curé des pauvres» et premier président haïtien élu démocratiquement a alors dit qu'il ne voulait pas revenir au pays pour faire de la politique, mais pour travailler à la reconstruction du pays en se consacrant à l'éducation. Ses partisans, encore nombreux au pays, ont réclamé qu'on lui accorde le droit de revenir. Le 7 février dernier, on lui a délivré un passeport diplomatique. Des proches d'Aristide ont expliqué qu'il voulait rentrer avant le second tour du scrutin, au cas où un changement de gouvernement lui fermerait la porte d'Haïti pour plusieurs années.

Q Aristide bénéficie-t-il toujours d'un large soutien en Haïti?

R Selon les journalistes qui ont interrogé des Haïtiens au cours des derniers jours, Aristide est toujours populaire dans les classes défavorisées du pays, qui considèrent que le politicien a été victime d'un coup d'État en 2004. Il peut aussi compter sur le soutien de son ancienne organisation politique, la Famille Lavalas. Plusieurs lui prédisent un retour triomphal à l'aéroport de Port-au-Prince, mais l'historien et analyste politique Michel Soukar, joint hier en Haïti, croit que la popularité d'Aristide n'est plus ce qu'elle était il y a sept ans. «Sa capacité de mobiliser a diminué. Depuis son départ, le mouvement Lavalas est très divisé. Plusieurs de ses anciens partisans se méfient de lui. Certains de ses proches, qui ont bénéficié de ses avoirs et de ses placements depuis son exil, ne seront pas très heureux de le voir rentrer au pays. Ils devront rendre des comptes.» Quand il est parti, Aristide, chef populiste que beaucoup accusaient de corruption et d'abus de pouvoir, avait aussi toute une galerie d'ennemis qui ne souhaitent en rien son retour.

Q Quel impact pourrait avoir son retour sur le scrutin de dimanche?

R Même si on ne s'attend pas à ce que le retour d'Aristide cause l'annulation du scrutin, on nage ici dans l'inconnu. Plusieurs observateurs disent qu'il pourrait devenir le faiseur de roi en annonçant son soutien à l'un des deux candidats à la présidence. D'autres pensent que ses partisans pourraient semer la pagaille. Une chose est sûre, son retour ajoutera au climat d'incertitude qui plane déjà sur le petit pays mille fois meurtri. Du côté politique, la candidate Mirlande Manigat a affirmé récemment qu'Aristide est le bienvenu en Haïti. Son rival, le chanteur Michel Martelly, a pour sa part demandé à M. Aristide de reporter son retour de «deux ou trois jours» afin de ne pas déstabiliser le scrutin. Les États-Unis et la France ont formulé la même demande.

Q Qui a rendu ce retour possible?

R Selon M. Soukar, le retour d'Aristide est l'oeuvre du président sortant, René Préval. «Préval a favorisé le retour d'Aristide pour se venger d'une double humiliation», d'abord parce que son candidat à l'élection présidentielle, Jude Célestin, a été écarté de la course après le premier tour; ensuite parce qu'on lui a imposé le retour de Jean-Claude Duvalier au mois de janvier.

Q L'ex-président Aristide pourrait-il subir le même sort que Jean-Claude Duvalier, mis en accusation pour les crimes commis sous son règne quelques jours après son retour en Haïti, en janvier?

R Ce n'est pas impossible. Des familles qui ont souffert des abus de l'administration Aristide ou de la violence perpétrée par ses partisans pourraient intenter une poursuite contre lui.