Une frontière fermée, le déploiement de 48 000 gardes de sécurité, une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la ville de Mohali, au Pendjab. L'Inde a sorti l'artillerie lourde pour «la mère de toutes les confrontations» qui aura lieu aujourd'hui entre les deux plus grandes rivales de l'Asie du Sud: les équipes de cricket de l'Inde et du Pakistan.

ur le terrain, ce sera la guerre à l'occasion de cette demi-finale de la Coupe du monde qui sera regardée par près d'un milliard de personnes. Mais étrangement, dans les gradins, ce n'est pas les hostilités qui retiendront l'attention, mais plutôt une soudaine éclaircie dans les relations, habituellement orageuses, entre l'Inde et le Pakistan.

Invitation

Le premier ministre indien, Manmohan Singh, a profité de la tenue du match sur son territoire pour inviter le premier ministre pakistanais, Yousuf Raza Gilani, à y assister. Depuis les attentats de Mumbai (anciennement Bombay) qui ont fait 166 morts en 2008 et qui sont attribués à un groupe pakistanais, c'est la première fois que le chef du gouvernement pakistanais mettra les pieds en Inde. Dans un geste de bonne volonté, M. Gilani a accepté de libérer un Indien, Gopal Das, emprisonné depuis 27 ans sur des allégations d'espionnage.

Vers 22h ce soir, à l'issue du match de huit heures, les deux premiers ministres comptent aussi continuer le rapprochement au cours d'un dîner nocturne. Leurs deux ministres des Affaires étrangères ont déjà commencé à mettre la table il y a deux jours en vue des pourparlers post-cricket.

Pas une première

Un tel réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays, sur fond de batte et de balle, n'est pas une première. Le phénomène a même un nom: la diplomatie du cricket, déjà pratiquée par M. Singh avec Pervez Musharraf en 2005 et par Rajiv Gandhi et son vis-à-vis pakistanais en 1987. «Les deux événements précédents n'ont pas accompli grand-chose, mais cette fois, on peut s'attendre à plus», estime Manmohan Agarwal, chercheur invité du Centre pour l'innovation de la gouvernance internationale de Waterloo, en Ontario. «Il semble y avoir un véritable désir de faire avancer les choses des deux côtés. La rencontre d'aujourd'hui permettra de mettre en place une procédure pour la suite des négociations», explique l'amateur de cricket, qui, jusqu'à tout récemment, enseignait les relations internationales à l'Université Jawaharwal Nehru de Delhi.

Rivalités et rapprochements

Selon M. Agarwal, le cricket ne rapproche pas que les leaders politiques. «Dans la culture du cricket, le match est toujours commenté par des experts des deux nationalités côte à côte, dans une atmosphère de neutralité. La rivalité est extrême, mais ça se fait néanmoins dans un climat amical.» Résultat: les accros du sport y mettent souvent du leur. Hier, le Times of India a annoncé que des amateurs indiens avaient cédé leurs billets - qui valent de l'or - à des amateurs pakistanais.

Les autorités indiennes craignent cependant que ces beaux sentiments ne soient pas partagés par tout le monde et que des groupes terroristes profitent de l'attroupement monstre au stade de Mohali pour perpétrer un attentat. D'où le déploiement de mesures de sécurité hors de l'ordinaire. «Rien ne sera laissé au hasard», croit M. Agarwal.

Surnommé le jeu des gentilshommes, le cricket n'est pas le seul sport à inspirer la diplomatie. Autant le soccer, le hockey, le baseball, le rugby, le ping-pong que les Jeux olympiques ont été sources de rapprochement international... ou de dissension à travers les siècles. D'anciens sportifs se voient souvent confier des missions diplomatiques. «Le sport ne déclenche pas de guerre et n'apporte pas la paix», explique Éric Mottet, professeur de géopolitique à l'UQAM, qui a dirigé l'an dernier un ouvrage sur la Coupe du monde de football. «Mais c'est souvent un signe avant-coureur d'une relation qui se dégrade ou qui s'améliore.»

D'autres sports au service de la politique:

- Ping-Pong

Le jeu de table a ouvert la voie diplomatique entre la Chine et les États-Unis au début des années 70. Ce sont d'ailleurs des joueurs de ping-pong qui ont été les premiers Américains à entrer dans la Chine communiste, en 1971, 22 ans après l'établissement du régime de Mao.

- Hockey

La «diplomatie du hockey» est une spécialité canadienne. Le terme a notamment été utilisé lors de la Série du siècle, qui s'est tenue en 1972 à Moscou ainsi que dans quatre villes canadiennes. Politiquement, cette série s'inscrit dans un contexte de détente dans les relations américano-soviétiques.

- Soccer

Sport le plus populaire du monde, le soccer a parfois été à l'origine de conflits (dont la guerra del fútbol entre l'Équateur et le Salvador en 1969), mais aussi au coeur de négociations de paix. L'un des plus récents événements a eu lieu dans le Caucase. Après des décennies de tension, le président turc a visité l'Arménie pour la première fois en septembre 2008 pour un match de soccer. Depuis, les deux pays ont ouvert des pourparlers pour mettre fin à un siècle d'animosité.

Photos.com