Il y a tout juste vingt ans, l'Inde lançait des réformes économiques qui allaient bouleverser le mode de consommation d'un pays émergent où les chaînes de télévision privées et les produits importés, comme le Coca-Cola, n'existaient pas encore.

Promod Bhasin, propriétaire d'un garage automobile à New Delhi, se souvient avec incrédulité de sa vie d'avant la libéralisation économique, annoncée lors de la présentation du budget le 24 juillet 1991 devant le parlement.

«On devait réserver un appel téléphonique auprès d'un standardiste si le correspondant à joindre était en dehors de la ville et rester en ligne en attendant que l'appel aboutisse», raconte cet homme de 56 ans. «Demander l'installation d'une ligne fixe était un casse-tête bureaucratique».

Avant 1991, l'Inde vivait protégée des investissements étrangers par de solides barrières douanières, rendant extrêmement rares les marques internationales dans une volonté d'être autosuffisant, conformément aux idéaux socialistes et nationalistes du pays.

Mais ce modèle a failli mener l'Inde à sa perte en raison d'une croissance stagnante, comprimée par une planification économique et un système d'autorisations administratives concernant la production des entreprises privées, baptisé le «Licence Raj».

«Tous les biens et services étaient tellement limités», témoigne M. Bhasin. «Les gens suppliaient leurs proches se rendant à l'étranger de ramener des jeans Levis et des produits électroniques», détaille-t-il.

Il se souvient aussi que les rares Indiens se rendant à l'étranger n'avaient le droit qu'à une somme restreinte de devises à dépenser quotidiennement et s'il leur en restait au retour, ils devaient retourner à la banque reconvertir les devises en roupies.

«Aujourd'hui, on passe nos vacances en Malaisie ou en Thaïlande sans s'inquiéter», souligne-t-il. «Je pense que le gouvernement a enfin réalisé qu'il devait juste laisser l'Inde avancer».

La libéralisation, menée sous la houlette du ministre des Finances de l'époque et actuel premier ministre, Manmohan Singh, s'est manifestée par une forte chute des droits de douane, une ouverture progressive aux investissements étrangers, une modernisation du secteur financier et des ajustements fiscaux.

La femme de M. Bhasin, 46 ans, se souvient qu'elle confectionnait elle-même les habits pour bébés dans les années 1980 parce que ceux vendus dans le commerce étaient de mauvaise qualité, qu'il y avait aussi très peu de jouets.

Certains produits «d'avant» ont survécu à la libéralisation, comme le Thums up, le «Coca-Cola indien» apparu sur le marché en 1977. Racheté par le groupe Coca-Cola en 1993, Thums up reste la marque de sodas la plus vendue en Inde, selon ses fabricants.

Les voitures Ambassador ont aussi continué de rouler avec leur petit air colonial, même si les routes se sont soudain peuplées de dizaines de nouveaux modèles, plus puissants et modernes.

«Il y avait la télévision Doordarshan (publique), mais aucune chaîne privée. On voulait que nos amis ramènent de l'étranger du chocolat, une calculatrice électronique ou même une télévision couleur», sourit Naresh Kambiri, 78 ans, bouquiniste à Connaught Place depuis 1966.

Mais comme de nombreux Indiens, M. Kambiri dit avoir des sentiments mitigés sur la ruée vers la modernité: «On s'inquiète aujourd'hui du système, où l'argent et le pouvoir ne sont pas bien utilisés. Il y a de la corruption».

«Aujourd'hui, les gens sont obsédés par l'achat de biens étrangers juste pour en faire étalage alors qu'avant on les voulait pour les utiliser», dit-il.

Gurcharan Das, homme d'affaires comblé et auteur du livre à succès L'Inde indépendante (India Unbound), chasse pour sa part toute nostalgie.

«Des choses excitantes se sont produites (depuis 1991) et cela a permis à des gens d'acquérir la conviction qu'ils pouvaient décider de leur propre destin».