À Delhi, Bombay, Bangalore comme à Calcutta, des milliers de personnes sont descendues dans les rues hier en Inde en soutien à un septuagénaire arrêté par les autorités. Portrait d'un militant qui utilise les vieilles armes de Gandhi pour ébranler l'Inde de 2011.

En principe, Anna Hazare est un homme libre. Arrêté mardi par les autorités indiennes, il a été libéré hier. Le septuagénaire est pourtant toujours assis dans une cellule de la prison de Tihar, dans la capitale indienne, au grand dam de ses geôliers.

La police de New Delhi a tenté de faire entendre raison hier au militant anticorruption, mais ce dernier s'oppose aux conditions qui lui seront imposées s'il sort de prison. La police autorise en effet le septuagénaire et ses milliers de partisans à tenir une grève de la faim, mais seulement pendant 21 jours dans un des parcs de Delhi.

M. Hazare, chapeau gandhien vissé sur la tête, refuse toute limite à son droit de jeûner. Il se dit prêt à se priver de nourriture jusqu'à ce que mort s'ensuive si le gouvernement indien n'accède pas à sa demande: voter une loi anticorruption musclée qui permettra d'enquêter sur toutes les fautes commises. Même celles du premier ministre. «C'est le temps de changer les choses ou de mourir, comme pendant notre lutte pour l'indépendance», dit haut et fort Anna Hazare.

Son message, qui fait directement référence à la bataille de Gandhi contre l'Empire britannique dans les années 40, atteint tout particulièrement la classe moyenne instruite de l'Inde, forte aujourd'hui de 300 à 400 millions d'âmes. De récents scandales entourant notamment la tenue des Jeux du Commonwealth en 2010 ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase dans un pays où la corruption est courante. «Il y a de plus en plus de désillusion dans la société en général envers le processus politique et les politiciens», a dit à La Presse Tripta Narang. Détentrice d'un doctorat, elle a participé à un rassemblement pour la libération d'Anna Hazare à Delhi cette semaine avec des milliers d'autres personnes.

Hier, des Indiens d'autres couches sociales se sont associés au combat d'Anna Hazare, dont les conducteurs de rickshaws, qui ont fait grève hier, privant Delhi de son emblématique mode de transport à trois roues.

Débuts villageois

Si Anna Hazare est devenu au cours des derniers mois une immense vedette médiatique dans toute l'Inde, le villageois, originaire de l'État du Maharashtra, n'en est pas à ses premiers actes de résistance gandhienne. Ancien soldat, s'étant enrôlé pour combattre pendant la guerre indo-chinoise, il s'est converti à au militantisme politique à la fin des années 70. Sa première cible a été son propre village, Ralegan Siddhi, frappé durement par la sécheresse. En quelques années, M. Hazare, grâce à plusieurs programmes de développement et à un système ingénieux de récupération d'eau, a transformé le hameau desséché en village modèle, cité en exemple dans tout le monde en voie de développement.

Simultanément, il a commencé à tenir tête au gouvernement. Pour forcer des ministres corrompus à démissionner, il a fait une première grève de la faim dans les années 90. Il a récidivé maintes fois depuis, réussissant à faire adopter une loi d'accès à l'information.

«En Inde, les grèves de la faim sont prises très au sérieux. Ça sort de l'ordinaire dans un système démocratique», estime Manmohan Agarwal, chercheur invité au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. «En arrêtant M. Hazare pour l'empêcher de manifester, le gouvernement indien n'a pas vu plus loin que le bout de son nez. Maintenant, il a une crise à gérer et devra faire des concessions.»