La décision américaine de moderniser les chasseurs F16 taïwanais va saper les relations sino-américaines et sino-taïwanaises, a tempêté jeudi le gouvernement chinois, mais sa très vive réaction ne devrait pas se traduire par des mesures de rétorsion, selon les analystes.

Le Pentagone a informé mercredi le Congrès de son accord pour la modernisation de quelque 146 F16 A/B de l'armée de l'air taïwanaise, comprenant de nouveaux équipements, du soutien logistique et de la formation.

Plusieurs élus américains étaient favorables à un accord plus large pour la vente de nouveaux appareils, des F16 C/D, ce à quoi Pékin s'opposait farouchement. La vente de nouveaux F16 aurait sans nul doute ouvert une nouvelle et longue crise dans les relations sino-américaines.

Malgré tout, la réaction de Pékin ne s'est pas fait attendre. Dès mercredi soir, l'ambassadeur américain Gary Locke était convoqué au ministère des Affaires étrangères.

«La partie chinoise appelle la partie américaine à prendre très au sérieux la position solennelle de la Chine, à rectifier l'erreur consistant à vendre des armes à Taïwan, et à immédiatement annuler la mauvaise décision sus-mentionnée, à arrêter ses ventes d'armes à Taïwan et les contacts militaires entre les États-Unis et Taïwan», a déclaré le ministre chinois des Affaires étrangères Yang Jiechi.

Ses propos tenus jeudi en marge de l'Assemblée générale de l'ONU ont été reproduits par l'agence de presse officielle Chine Nouvelle.

De son côté, le ministère de la Défense a exprimé «sa vive indignation» et «condamne fermement cette grave ingérence dans les affaires intérieures de la Chine qui sape la souveraineté et la sécurité nationales».

«La décision erronée des États-Unis de vendre des armes à Taïwan aura un impact inévitable sur les relations militaires sino-américaines», a prévenu le ministère.

Chargé des relations avec Taipei, le Bureau des affaires taïwanaises a jugé que la décision américaine «menace la paix et la stabilité de part et d'autre du détroit de Taïwan» et demandé aux autorités de l'île de «ne provoquer aucune confrontation entre les deux parties».

Les experts jugeaient toutefois peu probables que les relations entre Pékin et Washington s'enveniment au point de provoquer à nouveau un gel des relations militaires, comme cela avait été le cas en janvier 2010, pour un an, déjà à la suite de ventes d'armes à Taïwan.

«Peut-être que les militaires vont prendre des mesures pour mieux contrer ces F-16 modernisés, mais ils ne vont pas rompre comme ils l'ont fait auparavant les relations militaires avec les États-Unis», a affirmé Jean-Pierre Cabestan, à l'Université baptiste de Hong Kong.

«La réaction de Pékin est probablement le fruit de délibérations au sommet du pouvoir (en Chine) sur la manière de crier fort tout en évitant de claquer la porte» du dialogue, a estimé pour sa part Russell Leigh Moses, un analyste politique basé à Pékin.

Selon lui, «le message de Pékin est destiné à des audiences variées, notamment au public chinois et à Taïwan».

L'approche d'une élection présidentielle en janvier à Taïwan, dans laquelle la Chine favorise l'actuel président Ma Ying-jeou, du parti nationaliste Kuomintang, face à la pro-indépendantiste Tsai Ing-wen, devrait également contribuer à modérer la réaction de Pékin, selon M. Cabestan.

Pour calmer les esprits, l'Agence de coopération pour la défense et la sécurité du Pentagone a assuré que «la vente de formation et de soutien logistique ne modifiera pas l'équilibre militaire de la région».

Une loi adoptée par le Congrès américain en 1979 dispose que les États unis doivent fournir des armes défensives à Taïwan, malgré l'opposition de la Chine, qui considère l'île comme une partie intégrante de son territoire.

À Taïwan, presse et analystes estimaient que les F16 ne suffiraient pas à sauver l'île en cas d'attaque de la Chine.

«La modernisation des F16 A/B n'est pas suffisante pour Taïwan alors que la Chine pointe plus de missiles vers Taïwan et modernise ses chasseurs tous les ans», a déclaré Shuai Hua-ming, un expert des questions militaires et député du Kuomintang.

Taïwan, qui dispose outre les F16, de Mirage 2000 et d'avions de chasse Ching-Kuo, reste en situation d'infériorité numérique face à la Chine.