Les villes chinoises, qui accueillent désormais plus de la moitié des 1,35 milliard d'habitants du pays, sont construites par les ouvriers migrants venus des campagnes, objets d'une discrimination institutionnalisée qui les empêche de devenir citadins à part entière.

Arrivé il y a trois mois à Pékin depuis l'île tropicale de Hainan, Xie Feng a froid et se sent seul.

«Regardez-moi. Chez moi, il fait 26 degrés et ici, je n'ai pas suffisamment d'habits pour me tenir chaud», déclare à l'AFP cet homme âgé de 26 ans sur un chantier de la capitale chinoise, où souffle un vent glacial en cette fin janvier.

«Pékin n'est pas mon amie. Je ne connais personne ici, mais je n'ai pas le choix, je dois gagner de l'argent», explique M. Xie, qui fait partie des quelque 230 millions de migrants ayant quitté leur région natale avec l'espoir d'une vie meilleure dans les métropoles chinoises en plein boom.

Après trois décennies de construction urbaine effrénée, le gouvernement a annoncé officiellement la semaine dernière que les citadins représentaient 51,27% de la population, contre environ 20% vers 1980.

«Aucun pays ne s'est jamais urbanisé plus vite que la Chine», selon Paul James, directeur du Global Cities Research Institute à l'université RMIT de Melbourne en Australie.

Des infrastructures «fondamentales comme des routes ou des voies de chemin de fer ont ouvert l'accès à des régions autrefois considérées comme reculées, tandis que l'État construit des villes dans des endroits aussi isolés que la Mongolie intérieure», relève cet expert.

«Mais ces villes nouvelles sont inconfortables. Leur vitesse de développement est peut-être viable sur le plan économique, mais elle ne l'est pas sur les plans culturel et environnemental».

À cause de leur permis de résidence (hukou) rural, les migrants ne sont pas considérés comme des citadins, bien qu'ils vivent la plupart du temps en ville. Beaucoup ont désormais des «permis temporaires» pour séjourner en milieu urbain, mais leur statut reste précaire.

Lorsqu'ils tombent malades, les soins restent entièrement à leur charge s'ils ne rentrent pas dans leur région d'origine pour se faire soigner. Envoyer ses enfants dans une école en ville relève pour eux du parcours du combattant, et les meilleurs établissements les refusent systématiquement, de peur de nuire à leur réputation.

Kam Wing Chan, professeur de géographie politique et économique à l'Université de Washington, souligne l'urgence de réformer le système du hukou.

«Ces gens aspirent à vivre en ville, mais ils se rendent compte une fois sur place qu'ils ne peuvent pas se le permettre» parce que la vie y est trop chère, a-t-il expliqué à l'AFP.

«Ils n'ont pas accès aux systèmes de retraites des grandes villes, aux bons emplois ou aux écoles locales pour les enfants.»

À 34 ans, Pei Yanlu vit à Pékin depuis dix ans, loin de sa femme et de ses enfants, habitant sur le chantier où il travaille, dans un conteneur aménagé en dortoir, mal éclairé et poussiéreux.

«La vie serait meilleure si elle pouvait me rejoindre ici», déclare M. Pei, qui gagne pourtant plutôt bien sa vie: 6000 yuans (732 euros) par mois, plus les heures supplémentaires. Il envoie régulièrement de l'argent à sa famille dans la province orientale du Shandong.

Sans envisager pour l'instant de supprimer le système du hukou, le gouvernement veut poursuivre le processus d'urbanisation du pays, avec 100 millions de nouveaux citadins prévus à l'horizon 2020.

La construction des villes soutient la croissance, notamment à travers le secteur du bâtiment et des travaux publics, pilier de l'économie.

Le vice-premier ministre Li Keqiang, probable successeur du chef du gouvernement Wen Jiabao l'an prochain, a déclaré le mois dernier que l'urbanisation était nécessaire pour soutenir la demande intérieure, à un moment où les exportateurs font face à des difficultés sur leurs principaux marchés, notamment en Europe.