Il est l'homme qui a sauvé la Pakistanaise chrétienne Asia Bibi d'une pendaison pour blasphème, son avocat. En proie à la fureur des islamistes, Saif-ul-Mulook se demande à présent qui le sauvera lui.

M. Mulook est depuis des années au coeur du tourbillon judiciaire qui a englouti la chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort en 2010 pour blasphème, et a culminé mercredi par une grande victoire : un rare acquittement par la Cour suprême.  

Malgré les menaces dont il fait l'objet, il dit ne rien regretter et vouloir poursuivre sa carrière sous le signe de la lutte contre l'intolérance.

« Justice a été rendue, c'est une victoire pour Asia Bibi. Le verdict montre que les pauvres, les minorités et la fraction la plus modeste de la société peuvent obtenir justice dans ce pays en dépit de ses défauts », s'est-il félicité immédiatement après le jugement mercredi matin.

« Je suis très heureux. Ceci est le jour le plus important et le plus heureux de ma vie », avait ajouté cet homme de 62 ans.

L'annonce a provoqué la fureur des milieux islamistes radicaux, qui sont descendus par milliers dans les rues et ont bloqué de nombreuses routes, criant des menaces de mort aux juges et à Asia Bibi et appelant à l'armée à la mutinerie.

Le blasphème est un sujet extrêmement sensible dans ce pays très conservateur où l'islam est religion d'État.  La loi prévoit jusqu'à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d'offense à l'islam.

De simples allégations se terminent régulièrement par des lynchages aux mains de la foule ou d'extrémistes. Les chrétiens, minorité persécutée, sont fréquemment visés.

M. Mulook, tout heureux qu'il soit du verdict, se sent désormais dangereusement exposé.  

« Je n'ai absolument aucune protection. Pas de protection et je suis une cible très facile [...] N'importe qui peut me tuer », souligne-t-il.

Mme Bibi n'est pas la seule affaire controversée qu'il ait eu à plaider dans sa carrière.

En 2011, M. Mulook avait endossé le rôle de procureur lors du procès de Mumtaz Qadri, le garde du corps et assassin du gouverneur du Pendjab Salman Taseer, lui-même un défenseur de Mme Bibi et très critique à l'égard de la loi sur le blasphème.

Qadri avait abattu son patron de 29 balles en pleine rue dans la capitale et avait justifié son geste par l'appel du gouverneur à une réforme de la loi.

Les autres avocats avaient refusé de se saisir de l'affaire, craignant des représailles de la part des extrémistes.

« Conséquences »

Qadri a été condamné à mort et pendu en 2016. Il fait depuis figure de héros pour une frange religieuse dure, qui lui a érigé un sanctuaire dans les environs d'Islamabad.

Depuis lors, la vie de M. Mulook a changé : il fréquente moins de gens, est constamment en état d'hypervigilance et est inondé de menaces.

« Si vous vous occupez d'affaires de ce genre, vous devez être prêt à faire face aux résultats et aux conséquences », souligne-t-il.  

Mais selon lui, le jeu en vaut la chandelle.

« Je pense qu'il vaut mieux mourir en homme fort et courageux que comme une souris peureuse », lance-t-il. « J'apporte mon aide à tout le monde », conclut-il.