(New York) Justin Trudeau n’a pas voulu dire, jeudi, si le Canada participerait à une mission multinationale de sécurité dirigée par le Kenya en Haïti.

La question de savoir comment aider au mieux Haïti a dominé la dernière journée de la visite du premier ministre canadien à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), où le président Joe Biden avait demandé mardi une aide urgente pour ce pays des Antilles ravagé par la violence et la pauvreté.

Certains médias laissent entendre qu’une demande d’approbation pour une mission de sécurité pourrait être présentée au Conseil de sécurité de l’ONU dès la semaine prochaine, mais M. Trudeau a soigneusement évité jeudi toute allusion selon laquelle le Canada y jouerait un rôle.

« Soyons très clairs : le Canada est l’un des pays – sinon le pays – qui s’est le plus engagé et a défendu le peuple haïtien », a-t-il déclaré en conférence de presse de clôture de sa visite à New York.

Cela comprend 80 millions supplémentaires pour la police haïtienne, en plus des 100 millions annoncés en mars dernier. Le Canada a imposé par ailleurs jeudi de nouvelles sanctions contre trois autres membres du monde des affaires haïtien, portant le total à 29 à ce jour.

« Le Canada prend des mesures significatives, mais il possède également 30 ans d’expérience dans le soutien au peuple haïtien, a déclaré M. Trudeau. On ne peut pas continuer de mettre des diachylons sur les crises et les défis auxquels les Haïtiens font face sans que les Haïtiens eux-mêmes soient au centre de toute solution, a-t-il précisé en français. Pour l’instant, le gouvernement haïtien n’est pas en train de rassembler assez un consensus ou de l’unité pour que n’importe quelle intervention soit réussie.

« Nous avons besoin que le gouvernement d’Haïti prenne au sérieux la nécessité de créer un consensus politique, mais aussi d’amener le peuple haïtien eux-mêmes en appui pour les interventions ou les plans que nous avons pour stabiliser et aider le peuple haïtien », a dit M. Trudeau.

« C’est pourquoi j’ai demandé aujourd’hui au premier ministre Henry d’en faire beaucoup plus, de créer une unité politique et un consensus autour du soutien international et peut-être des interventions », a ajouté le premier ministre en anglais.

M. Trudeau a en fait repris en grande partie le même message qu’il a utilisé depuis quelques mois pour résister aux pressions manifestes et parfois publiques des États-Unis, qui souhaiteraient que le Canada devrait diriger une telle mission de sécurité en Haïti.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau

C’est finalement le Kenya qui a proposé de diriger cette mission, en déployant 1000 policiers pour aider à former leurs homologues haïtiens, qui sont largement en infériorité numérique et manquent de ressources dans un pays de 11 millions d’habitants.

Plus tôt jeudi matin, M. Trudeau, assis à côté d’Ariel Henry, premier ministre par intérim d’Haïti, soutenait qu’« il n’y avait pas de solution extérieure à cette situation » dans ce pays. « Nous avons un rôle à jouer de l’extérieur […], mais nous avons besoin de plus de dialogue, de plus de consensus en Haïti et autour du peuple haïtien. »

M. Trudeau a également pris la parole brièvement lors d’une réunion d’un groupe consultatif ad hoc organisé par le Canada, auquel participait M. Henry, et présidé par Bob Rae, l’ambassadeur du Canada à l’ONU et l’homme de confiance du premier ministre dans le dossier haïtien.

Solution à plusieurs facettes

Des gangs criminels très violents sévissent en Haïti depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, bloquant les livraisons de carburant et terrorisant la population locale, le tout au milieu d’une épidémie de choléra.

Peu de progrès ont été réalisés sur le terrain depuis, mais M. Rae a déclaré jeudi qu’il était convaincu que les efforts diplomatiques et politiques visant à réunir un soutien pour ce pays commençaient à porter leurs fruits. « Il a été très difficile de parvenir à un accord et de progresser, mais nous allons quelque part », a-t-il soutenu.

Cela inclut un consensus émergent selon lequel la sécurité, l’aide humanitaire, le développement durable et la responsabilité politique et juridique doivent tous être des éléments d’une solution efficace.

Et la perspective canadienne – selon laquelle les interventions extérieures n’auront probablement que peu ou pas d’impact durable sans que les Haïtiens eux-mêmes jouent un rôle de premier plan – semble l’emporter, a déclaré M. Rae.

« Je pense que ces opinions, que nous défendons depuis longtemps, sont désormais plus largement acceptées, a déclaré l’ambassadeur. Nous espérons donc que tout ce qui ressortira du Conseil de sécurité fera partie de cette mise en œuvre. »

Les dirigeants des pays membres de la Communauté des Caraïbes (Caricom) participeront à un sommet à Ottawa, le mois prochain, et les discussions porteront probablement sur la meilleure façon de renforcer aussi la sécurité des pays voisins d’Haïti.

« Ce qui se passe en Haïti est évidemment terrible pour le peuple haïtien. Ce qui se passe est dévastateur, mais c’est également très dangereux pour la sécurité de toute la région », a déclaré M. Rae.

« C’est encore une fois une approche sur laquelle nous insistons et sur laquelle nous allons de l’avant, et je suis assez optimiste quant au fait que nous verrons un peu plus de lumière et d’accord dans les prochaines semaines. »

Au cours de l’été, le Canada a annoncé son intention de coordonner un effort multilatéral qui contribuerait à faire de la police haïtienne une force de sécurité plus efficace.

Ces efforts comprenaient une « cellule de coordination » chargée d’évaluer leurs besoins les plus urgents, tels que la formation et l’équipement, et de déterminer comment les pays qui les soutenaient pourraient répondre au mieux à ces demandes.

Les nouvelles sanctions annoncées jeudi par Ottawa visent les hommes d’affaires Marc Antoine Acra, Carl Braun et Jean-Marie Vorbe. Ces « trois membres de l’élite économique haïtienne » seront interdits de territoire au Canada et feront l’objet d’une interdiction générale de transactions.

« Le Canada a des raisons de croire que ces personnes attisent la violence et l’instabilité en Haïti en se livrant à des actes de corruption et à d’autres actes criminels, et en permettant aux gangs armés de mener des activités illégales qui terrorisent la population et menacent la paix et la sécurité en Haïti », indique un communiqué d’Affaires mondiales Canada.