Le gouvernement nicaraguayen multiplie les interventions musclées contre les représentants de l’Église catholique dans le pays, allant jusqu’à les assimiler à des « suppôts de Satan » pour légitimer la ligne dure.

L’approche répressive du président Daniel Ortega a été mise en relief en début de semaine par l’annonce de l’expulsion vers le Vatican d’une quinzaine de religieux qui étaient détenus.

L’évêque Rolando Álvarez, qui était devenu un critique très en vue du gouvernement, figurait parmi les personnes libérées.

L’année dernière, il avait refusé d’être expulsé vers les États-Unis avec un groupe de 200 prisonniers politiques décrits par Managua comme des « mercenaires » à la solde de Washington.

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L’évêque Rolando Álvarez a été libéré par le gouvernement.

Le religieux avait subséquemment été condamné à 26 ans de prison pour « trahison » et renvoyé en détention tout en se voyant retirer sa citoyenneté, un procédé utilisé de plus en plus souvent par le régime.

Une dictature « grossière », selon le pape

Le pape François avait alors déclaré son « inquiétude et sa tristesse » relativement à la situation au Nicaragua, tout en disant espérer qu’un accord permettant une « coexistence respectueuse et pacifique » entre l’Église catholique et le gouvernement puisse être trouvé.

Dans une entrevue accordée en 2023 à un journal argentin, le chef religieux a adopté un ton autrement critique, n’hésitant pas cette fois à assimiler le régime de Daniel Ortega aux « dictatures les plus grossières » du XXe siècle, nazisme inclus.

Je suis obligé de conclure que la personne qui mène le pays est déséquilibrée.

Le pape François, en 2023

Un universitaire nicaraguayen ayant demandé de ne pas être nommé pour des raisons de sécurité a indiqué à La Presse que les critiques du pape marquaient l’aboutissement d’un long processus de transformation.

À son retour au pouvoir en 2007, Daniel Ortega a géré le pays en adoptant une approche conservatrice sur le plan social, restreignant notamment l’accès à l’avortement, avec l’appui de l’Église catholique.

La donne a changé en 2018 lorsqu’une réforme de l’aide sociale a suscité d’importantes manifestations qui ont été réprimées dans le sang, faisant 300 morts et des milliers de blessés. Des tireurs d’élite avaient notamment été mobilisés pour tuer d’une balle à la tête des dizaines de protestataires.

Des prêtres ont alors offert un refuge à des concitoyens qui fuyaient les forces de l’ordre au plus fort du conflit, tandis que les leaders de l’Église se posaient en médiateurs à l’échelle nationale.

Les pourparlers ont tourné court et le gouvernement a maintenu son approche répressive malgré les protestations des dirigeants religieux, qui ont finalement été assimilés par le régime à l’opposition en raison de leurs critiques persistantes.

« L’Église est passée de pilier du régime à médiateur à opposant », a résumé l’universitaire.

Attaques, menaces et vandalisme

Dans le processus, les exactions en tout genre ciblant l’institution religieuse se sont multipliées et ont augmenté progressivement pour atteindre un sommet en 2023.

En cinq ans, plus de 770 attaques contre des représentants ou des établissements de l’Église ont été documentés par une avocate nicaraguayenne en exil, Martha Patricia Molina. Des prêtres ont été physiquement attaqués et menacés, des églises ont été vandalisées et des médias catholiques ont dû fermer. Des processions religieuses séculaires ont été interdites.

Le régime veut faire « complètement disparaître l’Église » parce que les prêtres et les évêques ont « refusé de se mettre à genoux devant son projet dictatorial ou de devenir complices » de ses actions, a confié Martha Patricia Molina au quotidien El País en décembre.

Kai Thaler, spécialiste de la région rattaché à l’Université de Californie à Santa Barbara, note que des périodes d’accalmie sont survenues à quelques reprises au cours des dernières années entre le Vatican et le Nicaragua, qui ont rompu leurs relations diplomatiques officielles en 2022.

« Mais le calme ne dure jamais longtemps et le régime retourne à ses méthodes répressives », souligne l’analyste.

Le régime ne craint pas de soulèvement de la part de la population en ciblant des religieux même si le pays compte 45 % de catholiques parce qu’il a bien en main les forces de sécurité et que la plupart des opposants ont été emprisonnés ou poussés à l’exil, ajoute M. Thaler.

La vice-présidente en renfort

Le régime n’en demeure pas moins déterminé à appuyer sa campagne par une propagande soutenue qui incombe à la conjointe de Daniel Ortega, Rosario Murillo.

La vice-présidente nicaraguayenne multiplie les interventions publiques dans les médias en décrivant les prêtres et les évêques au Nicaragua comme de « faux représentants de Dieu » voulant manipuler les croyants.

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Le président du Nicaragua, Daniel Ortega

Le pays compte aussi nombre d’églises évangéliques, qui ont échappé à la répression en partie parce qu’elles sont moins structurées en réseau et représentent une menace moindre, dit M. Thaler.

Les efforts du régime pour mettre au pas l’Église catholique sont particulièrement consternants puisque ses représentants étaient les derniers à pouvoir dire publiquement à la population que « la situation du pays n’est pas normale », a indiqué l’autre universitaire interrogé par La Presse.

« Je ne vois pas qui reste pour prendre la relève. Il n’y a plus personne sur place en position de parler », conclut-il.

Ce qu’il faut savoir

Le régime autoritaire du président Daniel Ortega multiplie les pressions sur l’Église catholique et ses représentants, qui sont considérés comme favorables à l’opposition.

En cinq ans, plusieurs centaines d’attaques contre des prêtres et des établissements de l’institution religieuse ont été recensées. Des dizaines de prêtres ont aussi été emprisonnés.

Après avoir préconisé une approche diplomatique discrète, le pape François s’est indigné de la situation, allant jusqu’à douter publiquement de la santé mentale de l’ex-dirigeant sandiniste.