C’est une trêve qui est passée à l’histoire. Un cessez-le-feu en 1914 en plein milieu de la Première Guerre mondiale le temps de célébrer Noël. Les Allemands s’étaient mis à chanter dans leurs tranchées. Les Britanniques les avaient imités. Dans le no man’s land, les Français avaient partagé leur champagne.

Pendant 36 heures, les ennemis étaient redevenus des humains sans drapeaux.

Bien sûr, on connaît la suite – 20 millions de morts, 20 millions de blessés en quatre ans – mais la trêve de Noël, aussi temporaire qu’elle ait été, a marqué l’imaginaire et inspiré le magnifique film Joyeux Noël. En le regardant, on se rappelle combien l’homme est capable du meilleur comme du pire, souvent la même journée.

Et voilà donc que le président russe, Vladimir Poutine, a décidé de décréter unilatéralement un cessez-le-feu de 36 heures sur la ligne de front ukrainienne pour souligner la Noël orthodoxe. De midi, heure de Moscou, en ce 6 janvier jusqu’à minuit le 7 janvier. Tiens, tiens.

En l’annonçant, il n’a pas parlé des soldats allemands, français et britanniques qui ont joué au soccer ensemble il y a un peu plus d’un siècle, mais bien de l’appel du patriarche de l’Église orthodoxe russe, Cyrille, son grand allié et faire-valoir idéologique.

Voyez-vous, l’armée russe pilonne depuis 10 mois les écoles, les hôpitaux, les théâtres et les infrastructures essentielles d’Ukraine, bafouant à qui mieux mieux le droit de la guerre et les droits des civils, mais le président russe ne voudrait surtout pas empêcher les croyants de se rendre à l’église en ce Noël du calendrier julien. Ce serait inhumain, un crime contre la décence !

Trêve de plaisanterie. Ce cessez-le-feu n’est pas une branche d’olivier offerte à l’Ukraine en cadeau de Noël. « C’est une opération de relations publiques pour permettre à Vladimir Poutine d’affirmer la supériorité morale de la Russie, et non pas pour mener à une désescalade du conflit et à un cessez-le-feu durable, estime Simon Schlegel, analyste de l’organisation Crisis Group, basé dans l’ouest de l’Ukraine. C’est d’abord un message destiné au public russe. »

Ce n’est pas la première fois que la Russie présente une action comme un geste de bonne volonté. « Elle l’a fait quand l’armée russe s’est retirée de Kyiv. Quand elle a quitté l’île des Serpents », rappelle celui qui suit de près le conflit ukraino-russe depuis 2017.

En d’autres termes, quand l’armée russe est dans le pétrin, elle tente de couvrir d’une aura de sainteté ses propres défaites, ses propres reculs.

Ça paraît très bien à la télévision russe, mais ça n’épate absolument pas le gouvernement de Kyiv, qui a qualifié la trêve de Poutine de « geste de propagande » et d’« hypocrisie ». Avec raison.

En ce moment, ça ne prend pas un oracle pour voir que l’Ukraine a le haut du pavé dans cette guerre qu’elle n’a pas voulue. Elle gagne du terrain et vient tout juste de réussir une grande frappe à Makiïvka, tuant au moins 89 personnes dans le camp russe le jour du Nouvel An. Mercredi, on apprenait que les États-Unis et l’Allemagne allaient lui fournir des véhicules blindés. « L’atmosphère du côté ukrainien est gung ho. Les Ukrainiens ne sont pas d’humeur à négocier. Ils font des gains dans leur contre-offensive et veulent continuer à faire des gains », précise Simon Schlegel.

Malgré toutes les souffrances, il y a un vent d’optimisme qui souffle dans la voile du moral des troupes ukrainiennes et de ceux qui les soutiennent. Pas exactement le bon moment pour fraterniser avec l’envahisseur, pour lui donner un break. Surtout quand ce dernier affirme qu’il n’acceptera de s’asseoir à la table des négociations seulement si l’Ukraine lui concède une bonne partie de son territoire avant même d’entamer les pourparlers.

Mais pas de trêve maintenant ne veut pas dire pas de trêve à jamais.

À moins d’une capitulation peu probable d’une des deux parties, la paix en Ukraine passera fort probablement par des discussions musclées qui seront accompagnées par un cessez-le-feu.

C’est une étape cruciale de tout processus de résolution de conflit, voire incontournable.

Et ce n’est pas impensable dans le contexte ukraino-russe. Au cours du conflit dans le Donbass, qui a précédé l’invasion russe de février dernier, les deux pays se sont entendus deux fois sur des cessez-le-feu, en 2014 et en 2015. En Syrie, la Russie a aussi joué un rôle crucial dans les négociations d’un cessez-le-feu dans la région d’Idlib, aux mains des rebelles.

Mais pour que l’Ukraine accepte un cessez-le-feu ou pour qu’elle en déclare un elle-même, elle doit y voir son intérêt. Et clairement, cet intérêt ne prend pas la forme d’une décoration de Noël.