Une poignée de main franche. Un baiser. Une main dans le dos. Puis une petite marche sur un long tapis rouge. Il ne manquait rien. Le prince héritier de l’Arabie saoudite a été accueilli plus que chaleureusement par Emmanuel Macron à son arrivée à l’Élysée, le 15 juin.

On est loin, très loin du statut de paria international que voulait lui faire porter Joe Biden à son arrivée au pouvoir. En fait, on peut dire que le prince Mohammed ben Salmane, 37 ans, passe un sacré bel été !

MBS (surnom formé de ses initiales sous lequel il est connu mondialement) multiplie à droite et à gauche les rapprochements et les réconciliations diplomatiques. La liste est longue, mais commençons par les plus épineuses : la Syrie, l’Iran, le Qatar… et le Canada.

Il y a un mois, le royaume saoudien et le royaume canadien de Charles III ont décidé de mettre fin à cinq ans de rupture diplomatique, orchestrée par le prince lui-même. En 2018, le dirigeant de facto n’avait pas digéré que la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, lui reproche sur Twitter d’avoir mis en prison des militantes pour le droit des femmes. Les ambassadeurs ont été rappelés et les ambassades fermées. Mais tout ça est maintenant du passé.

Et les États-Unis ? Après une visite controversée de Joe Biden l’automne dernier et un bon coup dans les jambes de la part du prince qui a limité la production de pétrole de son pays en pleine crise énergétique, le pays de l’oncle Sam essaie aussi de se rabibocher avec l’héritier du roi Salmane.

En coulisses, l’administration américaine tente même de négocier un accord de paix entre le royaume et Israël. Du jamais vu.

Et qu’est-il arrivé de l’opprobre international entourant l’assassinat sordide du journaliste et commentateur Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul en 2018 ? Il s’est largement évaporé. Même la Turquie, qui a subi ce crime immonde sur son territoire, est en train de renouer avec Riyad.

C’est la fête !

Mais qu’est-ce qui explique un tel retournement ? Expert de l’Arabie saoudite, Thomas Juneau croit que c’est le prince lui-même qui a changé, troquant sa politique étrangère agressive pour des positions plus conciliantes.

« Il s’est rendu compte que ses chicanes diplomatiques étaient un frein aux réformes sociales et économiques qu’il est en train de cristalliser dans son pays », note le professeur de l’Université d’Ottawa.

C’est vrai que pour ouvrir l’économie saoudienne au reste du monde, et attirer les investissements en même temps que les touristes, maintenir l’image d’un pays colérique et voyou, ça ne fonctionne pas très bien.

Les réformes sociales dont il est l’architecte paraissent aussi assez bien sur son CV. Il a levé la tutelle dont les femmes faisaient l’objet, leur a permis de conduire et a marginalisé la police des mœurs. Il a aussi ouvert aux Saoudiennes plusieurs secteurs de l’économie qui leur étaient jusqu’ici fermés à double tour : l’armée, le tourisme et le gouvernement, explique Thomas Juneau. MBS essaie aussi d’extirper son pays de la guerre au Yémen.

Si vous avez bien lu les derniers paragraphes, vous verrez un mot revenir à répétition : il. Lui. À la troisième personne du singulier.

Dans ces réformes, Mohammed ben Salmane est le seul capitaine du bateau. Et ceux qui osent critiquer l’itinéraire qu’il a choisi se retrouvent toujours enchaînés dans la cale.

Parlez-en à Salma al-Shehab, qui a écopé de 34 ans de prison pour avoir soutenu une féministe saoudienne dans une publication sur Twitter. Ou encore à Nourah al-Hathloul, qui a été condamnée à 45 ans de prison pour crime de lèse-majesté sur les réseaux sociaux.

« MBS est vraiment le maître d’œuvre de réformes sociales et économiques, mais ce ne sont pas des réformes politiques ou démocratiques, estime Thomas Juneau. Il est plus calme, plus posé, mais ça reste un autocrate qui n’accepte aucune critique. »

Donc, pas beaucoup plus fréquentable qu’il y a cinq ans.

Les beaux yeux de Mohammed ben Salmane ne feraient d’effet à personne s’il était le seul à avoir changé sa méthode de séduction. De l’autre côté de l’équation, il y a aussi un monde qui s’est métamorphosé depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine. Un monde plus réceptif qu’il y a deux ans aux attraits de l’Arabie saoudite.

D’abord il y a le pétrole, encore plus précieux dans le contexte des sanctions contre la Russie. Et puis l’argent, nerf de la guerre.

D’ailleurs, ces jours-ci, l’argent rentre à pleines fenêtres dans le royaume. Le pays a eu la plus grande croissance économique de la planète l’an dernier et multiplie les investissements stratégiques à travers le monde.

Le retour du pays à la table des nations permet aussi de croire à une certaine stabilisation du Moyen-Orient. Ce n’est pas à négliger quand le reste des plaques tectoniques de l’ordre mondial sont en mouvement.

Oui, Mohammed ben Salmane passe un bien bel été. S’il y a beaucoup de dommages collatéraux à la guerre en Ukraine – une crise alimentaire mondiale, des prix en folie, notamment –, il y a aussi des gagnants par la bande. Il en est la preuve.

Heureusement, il reste la Ville de Washington – cette insoumise – pour lui tenir tête à sa façon. Depuis un an, l’ambassade d’Arabie saoudite dans la capitale américaine est située au 601, rue Jamal-Khashoggi.