Que reste-t-il de l’Afghanistan deux ans après que les talibans ont repris le contrôle de Kaboul sans la moindre résistance ?

Pour souligner cet anniversaire empreint de regrets, je pourrais bien sûr parler de la situation humanitaire alarmante, de l’état de servitude qui est dorénavant celui des Afghanes, de la difficulté de dialoguer avec les talibans sans reconnaître leur régime.

Je pourrais aussi relever le rôle que les États-Unis et ses alliés – dont le Canada – ont joué dans l’actuelle débâcle. Ce serait juste et pertinent, mais vous me permettrez d’aller ailleurs. De vous parler de ce que l’Afghanistan a de magnifique. D’immortel.

Pour concocter mon propre petit dictionnaire amoureux de l’Afghanistan – un modeste clin d’œil à la célèbre collection de Plon –, j’ai puisé dans mes souvenirs de ce pays, autant nourris par mon séjour en 2005 que par les amitiés que j’entretiens depuis plus de 20 ans.

S’il est meurtri, l’Afghanistan n’a pas dit son dernier mot.

A comme dans Aryana Sayeed

PHOTO JULIEN DE ROSA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aryana Sayeed lors d’un spectacle à Paris en novembre 2021

Pendant que les talibans faisaient brûler des instruments de musique au début d’août, Aryana Sayeed, elle, mettait en ligne le vidéoclip de sa dernière chanson, Baby bye bye. On voit la chanteuse afghane larguer son petit ami qui ne lui prête pas attention. Superficiel ? Oh non ! Mme Sayeed est l’un des plus beaux exemples de résistance à l’obscurantisme. Tantôt portant des robes moulantes, tantôt préférant des habits traditionnels, l’artiste en exil en Turquie ne manque pas une occasion de défendre les femmes et les minorités afghanes sur la place publique, et ce, même si les talibans continuent de la menacer de mort.

Voyez le vidéoclip de Baby bye bye

B comme dans BBQ Shinwari

PHOTO WAKIL KOHSAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un vendeur afghan attend l’arrivée de clients à Kaboul, en 2021.

C’est en riant qu’Akbar Shinwari me parle des BBQ qui portent son nom de famille. Pourtant, ces fours qui permettent de faire griller la viande d’agneau sur la braise sont bel et bien un des symboles de l’Afghanistan, et particulièrement de la culture pachtou. « Il y a une rue à Kaboul où ces BBQ sont tous alignés. Avant le retour des talibans, c’était plein de monde. Aujourd’hui, les affaires y sont encore bonnes parce que les fonctionnaires [du régime taliban] s’y rendent, mais pas les gens ordinaires. Ils n’en ont plus les moyens », se désole Akbar Shinwari, journaliste et traducteur afghan qui a quitté le pays lors de l’arrivée des talibans et qui vit aujourd’hui à Cleveland.

C comme dans la capitale, Kaboul

PHOTO ADAM FERGUSON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Célébrations du Nouvel An traditionnel (Now Rouz) à Kaboul, en 2016

Ah ! Kaboul. La capitale de l’Afghanistan manque éperdument à Akbar Shinwari et à Farouq Samim, qui y ont tous deux travaillé comme des fous pendant l’occupation américaine du pays. « Je m’ennuie de toute l’activité dans les rues. Ça grouillait de partout malgré la guerre. Les femmes étaient partout dans les rues », dit Farouq Samim, installé à Ottawa depuis 2009. « Kaboul, c’était une ville de gentillesse, de respect, d’hospitalité. Je m’ennuie des matins où tous les travailleurs se dépêchaient pour aller au travail, ouvrant les magasins, poussant leurs chariots pleins de fruits et de légumes », renchérit Akbar Shinwari.

D comme dans diaspora

PHOTO WILLIAM PURNELL, ARCHIVES USA TODAY SPORTS, FOURNIE PAR REUTERS

Nadia Nadim (en mauve), le 5 août dernier

Aujourd’hui, plus de huit millions d’Afghans vivent à l’étranger, soit près de 20 % de la population afghane mondiale. Au sein de cette diaspora, on peut trouver mille histoires inspirantes. Une de mes préférées est celle des joueuses de soccer. Je leur ai consacré une chronique récemment, mais sans parler de la plus célèbre d’entre elles : Nadia Nadim. Originaire d’Hérat, l’athlète fait tourner les têtes au Danemark, son pays d’accueil, mais aussi sur la planète soccer entière. Elle s’est illustrée dans les ligues de soccer féminines autant aux États-Unis qu’en France. Une blessure l’a empêchée de jouer lors de la Coupe du monde féminine de soccer qui se termine en Australie cette semaine.

Lisez la chronique « Laissez Fatima et ses lionnes jouer ! »

J comme dans jardin

PHOTO FARSHAD USYAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un Afghan passe le temps dans un jardin de Mazâr-e Charîf, en Afghanistan.

J’ai passé des soirées mémorables dans les jardins privés de Kaboul. C’est là que les familles afghanes tout comme les expatriés ont leurs plus beaux espaces de liberté, loin des regards. Les villes afghanes comptent aussi leurs lots de jardins publics. Les plus célèbres sont les jardins de Babour, créés par l’empereur moghol au XVIsiècle, restaurés après la chute du premier régime taliban et visités par des millions de personnes chaque année. Aujourd’hui, les talibans veulent que ces jardins historiques accèdent au patrimoine mondial de l’UNESCO, mais leur demande est sur la glace depuis qu’ils ont décidé d’interdire l’accès aux femmes.

K comme dans Kabouli pilau

PHOTO SHAH MARAI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un plat de Kabouli pilau

Rien ne traduit mieux l’hospitalité afghane que le plat national du pays. Ce grand plat de riz, surmonté de carottes, de raisins secs, d’agneau et d’épices, est au cœur de toutes les célébrations afghanes, que ce soit la fin du ramadan, l’Eid ou le Nouvel An traditionnel, Now Rouz, qui coïncide avec le premier jour du printemps. Les immigrants afghans ne quittent jamais leur pays d’origine sans apporter dans leurs bagages les secrets familiaux leur permettant de sublimer ce plat. C’est à Montréal, dans la cuisine d’une amie, Khatera Nadem, que j’ai mangé le plus inoubliable des Kabouli pilau.

M comme dans montagnes

PHOTO KIANA HAYERI, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les montagnes recouvrent 85 % du territoire de l’Afghanistan.

La première fois que j’ai posé les yeux sur l’Afghanistan, j’étais dans le pays voisin, le Tadjikistan. Une rivière torrentielle servait de frontière aux deux pays. Cette dernière aurait été infranchissable sans un système de cordes et de nacelles qui – sans aucune électricité – faisait l’aller-retour au-dessus des flots rageurs, permettant de transporter gens et marchandises. J’ai ensuite vu les montagnes illuminées de Kaboul, puis les montagnes magnifiquement arides de Kandahar. En fait, il est difficile de penser à l’Afghanistan sans faire le lien avec ses montagnes, recouvrant 85 % de son territoire.

T comme dans turquoise

PHOTO WAKIL KOHSAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le parc national de Band-e Amir

Impossible de ne pas avoir le souffle coupé en débarquant au parc national de Band-e Amir, dans la province de Bamiyan. On y trouve une chaîne de six lacs uniques au monde. Leur couleur, intense, passe du bleu profond au turquoise. Ils sont entourés de montagnes désertiques. La conservation de ces merveilles naturelles ne nous permet pas d’oublier cependant un des crimes les plus visibles des talibans. En 2001, c’est dans la même région que les islamistes rigoristes ont détruit les Bouddhas de Bamiyan, vieux de plus de 1500 ans.

Y comme dans yeux

PHOTO SHAH MARAI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Sharbat Gula en 2016

Verts, bleus, gris, brun doré. Les yeux des Afghanes sont des œuvres d’art qui ont disparu à nouveau sous les burqas qui font leur retour en force. Aucune paire d’yeux n’est plus célèbre que celle de Sharbat Gula. Mme Gula avait 12 ans quand le photographe Steve McCurry a immortalisé son regard sur la page couverture du National Geographic. Longtemps oubliée, Mme Gula a été évacuée de l’Afghanistan en août 2021 par l’Italie. À l’époque, le premier ministre Mario Draghi a affirmé que le regard de Mme Gulla est devenu le symbole de l’impact des « vicissitudes et des conflits » sur la population civile afghane. Un regard que l’on ne peut pas oublier.