Depuis les massacres du 7 octobre en Israël, les appels à choisir son camp se multiplient. Soit vous êtes avec les terroristes du Hamas, soit vous êtes avec le gouvernement israélien. Avec nous ou contre nous. Ainsi le veut la rhétorique guerrière, comme après un certain 11 septembre.

Que faire lorsqu’on abhorre le Hamas et les atrocités commises contre des civils israéliens tout en étant choqué par le traitement inhumain réservé aux civils palestiniens de Gaza ?

Est-ce possible de soutenir à la fois les Israéliens victimes de la barbarie du Hamas et les Palestiniens victimes des représailles meurtrières d’un gouvernement d’extrême droite ?

Alors que la logique manichéenne domine, de nombreuses voix s’élèvent pour dire que c’est non seulement possible, mais essentiel.

« [Il] est possible, et nécessaire, de se tenir aux côtés des Palestiniens et des Israéliens sans recourir au relativisme éthique, à l’indignation sélective ou, pire encore, aux appels à la violence », a déclaré la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese. Méfions-nous des discours sur la guerre Israël-Hamas qui font fi de l’histoire des violences commises contre les Palestiniens, a insisté l’avocate spécialiste des droits de la personne, en condamnant dans la foulée toute attaque contre des civils.

Lisez l’article d’Al Jazeera « Israel-Palestine conflict : “Necessary” to stand with both Israelis, Palestinians, UN rapporteur says » (en anglais)

Il n’y a en fait rien de contradictoire à condamner l’horreur de l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre, devenu le jour le plus meurtrier pour le peuple juif depuis l’Holocauste, tout en condamnant les bombardements massifs sur le territoire de Gaza en état de siège. Peu importent nos croyances ou nos origines, on n’a pas à choisir entre les vies israéliennes et les vies palestiniennes.

« Chaque vie humaine perdue depuis le début de ce conflit est une mort de trop », rappelle le Montréalais Niall Clapham Ricardo, membre de Voix juives indépendantes Canada, un organisme qui se réclame de son héritage juif pour s’opposer à toute forme de racisme et promouvoir la justice et la paix pour tous en Israël et en Palestine.

Atterré par l’atrocité du massacre commis par le Hamas, le militant de 31 ans déplore l’indignation sélective faisant en sorte que bien des gens ne sont pas atterrés de la même façon par le sort des victimes civiles palestiniennes.

Il constate une « asymétrie » troublante tant dans certains médias que dans les prises de position de nombreux gouvernements et citoyens.

Une asymétrie qui se manifeste lorsqu’on déplore les morts israéliennes en ignorant les vies palestiniennes perdues d’hier à aujourd’hui dans ce conflit. En oubliant aussi que les attaques contre des civils constituent une violation du droit international, quel qu’en soit l’auteur.

Il ne s’agit en aucun cas de justifier l’injustifiable, souligne Niall Clapham Ricardo.

« La question qui importe lorsqu’on prend position sur ce conflit est : quelle est la finalité ? Moi, ma finalité, c’est la paix. Et on ne peut pas avoir de paix au Moyen-Orient, en Palestine et en Israël sans avoir de justice pour le peuple palestinien, sans comprendre la lutte du peuple palestinien pour la dignité et une vie bêtement normale. »

PHOTO JANIS LAIZANS, REUTERS

Israéliens allumant des bougies à la mémoire des victimes du Hamas, jeudi à Tel-Aviv

Pour comprendre, il faut contextualiser, rappelle-t-il. « Contextualiser les actes du Hamas, ce n’est pas les justifier, bien au contraire. Il s’agit de dire : si on veut que les civils arrêtent de mourir, il faut accorder autant d’importance aux morts civiles palestiniennes qu’aux morts civiles israéliennes. »

Juif et fier de l’être, préoccupé par les enjeux liés aux droits des minorités et la lutte contre l’antisémitisme et toute forme de racisme, Niall Clapham Ricardo, qui est étudiant en droit, s’est joint à Voix juives indépendantes il y a une dizaine d’années, car il ne se reconnaissait pas dans le discours dominant de sa communauté sur Israël.

« Plein de jeunes grossissent les rangs d’organismes comme le nôtre, tant au Canada qu’aux États-Unis avec Jewish Voice for Peace. Des jeunes qui se disent : “Non, ce n’est pas vrai. Je ne peux pas aller à une manif de Black Lives Matter et mettre mon genou par terre et le lendemain défiler dans les rues avec un drapeau israélien pendant qu’on bombarde Gaza pour la énième fois.” »

Loin de nous rapprocher d’un objectif de paix, les décisions prises par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, qui viole le droit international humanitaire avec son siège total de la bande de Gaza, nous en éloignent. « Ces décisions vont vers une punition collective du peuple palestinien de la bande de Gaza, la mort de civils, d’enfants, de bébés… On continue dans ce cercle vicieux. Mais la vengeance, ce n’est pas la paix. »

Faire fi des droits de la personne ne rend pas le monde plus sûr ni ne ramène à la vie les victimes que l’on pleure.

Comment briser ce cercle vicieux ? « Il faut vraiment qu’on lutte pour la paix. C’est une lutte difficile qui exige de briser ces récits de pensée binaire selon lesquels il faut être soit avec le Hamas, soit avec le gouvernement israélien. »

Niall Clapham Ricardo croit que nous sommes à un point de bascule qui provoquera une prise de conscience quant à la nécessité de mettre fin à l’occupation israélienne et à la situation d’apartheid qu’elle entraîne. « J’ai espoir parce que la solution, même si elle peut sembler hyper compliquée, est simple : c’est la paix. Ça veut dire de donner les mêmes droits aux Palestiniens qu’aux Israéliens. »

J’avoue avoir du mal à partager son optimisme. Mais on s’entend sur une chose. S’il faut à tout prix choisir son camp, il n’y a qu’un seul choix viable : le camp des humains, le camp de la paix.