Tout se passe exactement comme prévu dans l’affaire du chef de gang Trump. Comme dans une vraie affaire de crime organisé.

Ce qui était « prévu », c’est que les rats quittent le navire rapidement et fassent un arrangement avec la poursuite pour sauver leur peau.

La procureure Fani Willis, spécialiste des dossiers de « racketeering », a fait accuser 19 personnes dans le complot pour renverser le résultat légal de l’élection présidentielle de 2020 en Géorgie. De ce nombre, déjà quatre se sont avoués coupables d’une infraction moindre. Au lieu des cinq années de pénitencier minimales et automatiques qui les attendaient, ils s’en sortent avec une amende et une probation de cinq ans.

En échange de cette clémence, ils devront témoigner contre les 15 coaccusés restants, et en particulier l’accusé Trump. Je dis 15, mais il est presque certain que d’autres les imiteront, pour les mêmes raisons. D’autant plus que la preuve de la procureure Willis vient de s’améliorer grâce à ces repentis-délateurs.

Sans surprise aussi, parmi les quatre premiers à retourner leur veste contre le gang, on trouve trois avocats. Il est vrai qu’on peut trouver de nombreux clients en étant domicilié dans une institution pénitentiaire, mais l’exercice de la profession est tout de même plus ardu dans une cellule.

« C’est plus facile de faire peur à un ingénieur ou à un avocat qu’à un Hells Angel », m’avait expliqué un policier dans le temps de la commission Charbonneau.

Comme je l’expliquais l’été dernier, les lois antigang « RICO » américaines (fédérale ou étatique, dans ce cas) sont un outil de répression redoutable. Plusieurs avocats dénoncent d’ailleurs les abus auxquels ils donnent lieu : les peines automatiques sont si sévères que les procureurs de l’État réussissent à « extorquer » des aveux de culpabilité à des accusés apeurés.

Des quatre repentis, le cas le plus intéressant est celui de l’avocat Kenneth Chesebro. Ce diplômé d’Harvard est l’architecte de la contestation judiciaire de l’élection de Joe Biden.

Ce n’est pas un crime que d’entreprendre des procédures, même si elles sont vouées à l’échec, me direz-vous. Je suis d’accord, et le mot « chevreuil » me vient immédiatement à l’esprit.

Là où le plan de Chesebro devient criminel, c’est qu’il consiste à utiliser les contestations judiciaires pour gagner du temps en attendant d’imposer un résultat frauduleux, qu’il sait faux et illégal.

La plus suave partie de cette construction est l’affaire des « faux grands électeurs ». Rappelons que l’élection d’un président aux États-Unis n’est pas directe. Ce sont les 538 « grands électeurs » du « Collège électoral » qui élisent le président. Chaque État en a un nombre déterminé en fonction de sa population. Ils sont choisis à la majorité simple du suffrage exprimé. La Géorgie, par exemple, a 16 grands électeurs. Comme Biden a gagné l’élection dans cet État par 11 779 votes, il a remporté tous les « grands électeurs » (seuls le Nebraska et le Maine n’ont pas un système « winner takes all »).

En définitive, ce qui compte, ce n’est donc pas que Biden ait remporté 81,3 millions de votes individuels contre 74,2 millions pour Trump. Ce sont les 306 grands électeurs accumulés, contre les 232 de Trump.

Mais en renversant le résultat dans sept États-clés, Trump se serait retrouvé avec la majorité.

Pendant que son équipe inondait les tribunaux de 62 recours constitutionnels (dont un seul a réussi sur un point mineur), Chesebro avait organisé une série de certifications bidon dans les capitoles de ces sept États. Nulle part le complot n’est allé aussi loin qu’en Géorgie. Seize personnes ont été convoquées par Chesebro pour signer un document officiel en secret dans une salle du capitole… pendant que la vraie certification avait lieu de manière solennelle avec 16 grands électeurs démocrates : le résultat avait été officialisé (après un recomptage complet) et c’était donc les grands électeurs démocrates qui avaient été convoqués dans l’enceinte du capitole géorgien.

Le document de « faux grands électeurs » devait servir dans une phase ultérieure du complot pour empêcher la certification finale du résultat.

Chesebro a plaidé coupable à une seule accusation : complot pour fabrication de ce faux document. C’est tout de même de nature criminelle (« felony », par opposition à « misdemeanor », qui est une infraction « sommaire » au Canada). Comme les autres, il évite la prison. J’ose espérer qu’un « félon » est radié du barreau, mais c’est à suivre.

L’action commence maintenant. Que dira-t-il de ce plan, élaboré pour tous les proches de Trump, en particulier Rudy Giuliani ? À quel point étaient-ils au courant de la fumisterie juridique dont l’objectif ultime était un coup d’État constitutionnel ? À 100 %, bien sûr, et il peut le prouver.

L’ancien chef de cabinet de Trump, Mark Meadows, serait aussi en train de négocier son sauvetage judiciaire.

Mais à lui seul, Chesebro peut faire tomber bien d’autres dominos. Cette affaire n’est pas encore au calendrier judiciaire, mais elle pourrait avancer rondement, peut-être même avant le dossier fédéral concernant l’insurrection du 6 janvier 2021 à Washington, qui doit procéder au mois de mars.

À côté de ça, les deux autres dossiers fédéraux (documents secrets et paiement à Stormy Daniels) ont l’air encore plus insignifiants.

Mais malgré ces développements judiciaires, et les amendes qu’il se fait imposer pour ses insultes au personnel de la cour dans son affaire civile à New York, le chef de gang va super bien.

Jeudi, NBC rapportait que les donateurs majeurs du Parti républicain, après avoir tenté de trouver un remplaçant, sont maintenant convaincus qu’il remportera l’investiture, et ont recommencé à soutenir Trump à coups de millions…