Il y a des conflits plus faciles à comprendre, à expliquer. L’Ukraine, par exemple : la Russie agresse un pays souverain dans une guerre nationaliste d’annexion. Mais il y a peu de conflits plus inextricables et plus frustrants à tenter de décrypter que celui entre Israéliens et Palestiniens.

Celui qui a le plus magistralement illustré la complexité du bras de fer israélo-palestinien est, selon moi, Amos Oz, le romancier israélien. Dans un petit essai publié en 20041, Oz a clairement expliqué que dans ce conflit, il n’y a ni bons ni méchants.

Ce conflit est une « tragédie », explique-t-il, « dans le sens le plus précis et ancien du terme : un choc entre deux parties qui ont raison ».

Deux parties qui ont raison ?

Cette terre, Palestine et Israël, Israéliens et Palestiniens ont d’excellentes raisons de la revendiquer, explique Oz, décédé en 2018. Par exemple, son père se faisait dire dans la Pologne du début du XXe siècle : Retourne en Palestine, le Juif…

« Les Palestiniens veulent une terre qu’ils appellent Palestine, écrit encore Oz. Ils ont de très bonnes raisons de la revendiquer. Les Juifs israéliens veulent le même territoire pour les mêmes raisons, ce qui met la table pour une incompréhension mutuelle et pour une terrible tragédie. »

La Presse m’a envoyé là-bas en 2009, alors qu’Israël pilonnait Gaza parce que le Hamas faisait pleuvoir ses roquettes sur le sud du pays. C’était l’opération Plomb durci, une autre inflammation de la plaie béante qu’est ce conflit depuis toujours et particulièrement depuis 1947.

J’en suis revenu encore plus dubitatif qu’à mon départ.

Dans certains conflits, il y a des bons, il y a des méchants. Pas toujours, mais souvent. Là-bas, sur ces terres nommées Israël et Palestine, c’est moins clair, beaucoup moins clair.

Quand le Hamas organise un pogrom dans le sud d’Israël, c’est clair : ce qu’ont fait les islamistes est inhumain et c’est indéfendable.

Quand Israël inflige un châtiment collectif à Gaza comme c’est le cas actuellement, c’est inhumain et c’est indéfendable.

Quand Israël gruge la Cisjordanie à coups de colonies illégales, c’est inhumain et c’est indéfendable.

Quand le Hamas bâtit pendant près de 20 ans des tunnels pour « résister » plutôt que de nourrir, soigner et éduquer les Palestiniens de Gaza, c’est inhumain et c’est indéfendable.

La complexité du conflit – ses racines politiques, historiques, religieuses (anciennes et contemporaines) – donne carrément le vertige. Pour vous en convaincre, je vous invite à lire ce texte de The Atlantic2 qui pulvérise la vision manichéenne du conflit israélo-palestinien telle que véhiculée par une certaine gauche progressiste qui analyse absolument tout par son prisme préféré, le décolonialisme.

Complexité ? C’est le mot clé à accepter pour faire des avancées vers la résolution de ce conflit, disait vendredi l’ex-président Obama3.

Là-bas, je comprenais les Israéliens d’ériger des murs pour se protéger d’attentats-suicides. Je comprenais les Palestiniens d’être incapables de vivre encore une minute sous une occupation immorale et humiliante.

Je comprenais aussi que les excités du gouvernement Nétanyahou avaient besoin des excités du Hamas. C’était vrai en 2009, imaginez maintenant. Agnès Gruda l’a très bien expliqué dans La Presse mercredi dernier4, dans une tribune à propos de l’ignominie des colonies juives en Cisjordanie.

Je comprenais aussi les habitants de Sdérot d’en avoir ras le bol, des roquettes. Comme je comprenais les Palestiniens de Gaza d’être à bout du blocus israélien.

Écrire sur ce conflit, c’est à coup sûr se faire accuser d’être « pour » l’autre camp. Vous aurez beau utiliser des kilos de nuances, les fanatiques de part et d’autre vous accuseront de partialité, d’être contre un camp, le leur…

Je cite les premiers mots d’un reportage hyperfouillé de David Remnick, du New Yorker, sur l’historique du conflit5 : « La seule façon de raconter cette histoire est de le faire honnêtement tout en sachant que vous allez échouer. »

J’ai utilisé le mot « fanatique ». Ce n’est pas un hasard, le mot est dans le titre du formidable essai d’Amos Oz dont je vous parlais plus haut et qui n’a pas pris une ride 20 ans plus tard : Comment guérir un fanatique.

Chaque camp est prisonnier de ses fanatiques.

Et entre les deux, sous les balles et les gravats, des civils déshumanisés par les fanatiques.

Amos Oz, encore, pour finir : « Une des choses qui rendent ce conflit particulièrement dur est le fait que c’est essentiellement un conflit entre deux victimes. Deux victimes du même oppresseur : l’Europe, qui a colonisé le monde arabe, qui l’a exploité et humilié […], est la même Europe qui a discriminé les Juifs, les a persécutés et harcelés, avant de finalement les massacrer en masse dans ce crime sans précédent, le génocide. On pourrait penser que deux victimes développeraient entre elles un sentiment de solidarité, comme dans un poème de Bertolt Brecht. Mais dans la vraie vie, les pires conflits sont souvent entre deux victimes du même oppresseur. Deux enfants victimes d’un parent cruel ne s’aiment pas nécessairement : ils voient très souvent dans l’autre le visage du parent cruel. »

1. Amos Oz, Comment guérir un fanatique, 2004, Gallimard

2. Lisez « The Decolonization Narrative Is Dangerous and False » (en anglais) 3. Lisez « Obama says people need to acknowledge complexity of Israel-Palestinian conflict to move forward » (en anglais) 4. Lisez le texte d’Agnès Gruda « La stratégie du pire » 5. Lisez « In the Cities of Killing » (en anglais)