« Je pense que les membres de la communauté juive au Canada et ailleurs dans le monde savent que le Canada est un allié, mais il y a des moments où nous devons exprimer notre opinion et notre position. »

C’est ce qu’avait dit le ministre des Affaires étrangères du Canada, François-Philippe Champagne, quand, en 2019, le pays avait voté en faveur d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies reconnaissant le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination ».

La décision, qui venait mettre fin à près de huit ans de rejets et d’abstention systématiques du Canada chaque fois qu’une résolution onusienne visait Israël dans le cadre du conflit au Proche-Orient, avait fait des remous au pays, mais elle avait aussi permis d’espérer un rééquilibrage de la position du gouvernement canadien à l’égard de la région.

On pensait graduellement tourner la page sur les années Harper de soutien inconditionnel aux politiques de l’État hébreu en toutes circonstances. Une position mur-à-mur qui laissait planer le doute sur l’indépendance du pays sur la scène internationale et qui a nui au Canada lorsqu’il a voulu siéger au Conseil de sécurité.

Pourquoi vous en parler aujourd’hui ? Parce que le 9 novembre, le Canada a manqué une belle occasion de se remémorer les mots du ministre Champagne.

Voyez-vous, le même gouvernement qui écrit sur son site web qu’il s’oppose à l’expansion des colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire occupé palestinien, notamment parce qu’elles sont « un obstacle sérieux à l’instauration d’une paix globale, juste et durable », ce même gouvernement a voté contre une résolution onusienne sur le sujet qui a pourtant rallié 145 pays, dont la France, le Royaume-Uni, le Japon et l’Ukraine.

Même l’Allemagne et l’Inde, qui sont parmi les plus fervents supporters d’Israël, ont voté pour la résolution qui « réaffirme que les implantations israéliennes dans le Territoire palestinien occupé sont illégales » et demande notamment à Israël de traduire devant la justice les « colons israéliens ayant commis des actes illégaux ».

Lisez le texte de la résolution

Qui a voté contre ? Israël, les États-Unis, la Hongrie, quatre petites îles du Pacifique et le Canada. C’est tout.

Pourtant, une semaine plus tôt, lors de son discours au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), la ministre Mélanie Joly, dans son énoncé sur la politique étrangère du Canada, avait dénoncé en début de discours « les attaques de colons extrémistes » en Cisjordanie et la dégradation de la situation humanitaire à Gaza, après avoir rappelé sa condamnation « sans équivoque » des « attaques terroristes » du Hamas qui ont fait 1200 morts le 7 octobre dernier.

La même ministre a aussi fait une déclaration en février dernier quand le gouvernement de Benyamin Nétanyahou – au sein duquel plusieurs colons israéliens sont ministres – a annoncé qu’il comptait légaliser certaines colonies et en agrandir d’autres, en dépit du droit international.

Depuis, la situation s’est passablement aggravée en Cisjordanie. Entre janvier et octobre, 1000 Palestiniens ont fui leur foyer pour échapper à la violence des colons et 900 de plus ont dû les imiter au cours du dernier mois seulement, selon un décompte des Nations unies.

« Depuis le 7 octobre, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a enregistré 241 attaques de colons (israéliens) contre des Palestiniens, qui ont soit fait des victimes palestiniennes (30 incidents), soit causé des dommages à des propriétés palestiniennes (174 incidents), ou les deux. […] Dans la moitié des incidents, les forces israéliennes accompagnaient les colons ou les soutenaient activement », peut-on lire dans le rapport d’OCHA publié lundi sur le conflit en cours.

On parle donc ici de violences sous la supervision de l’État et qui n’ont rien à voir avec l’objectif des forces armées israéliennes de venir à bout du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza. On parle ici de bergers chassés de leurs pâturages et de familles prenant leurs jambes à leur cou au milieu de la nuit pour se mettre à l’abri.

Et voilà qu’une résolution aux Nations unies permet de dénoncer spécifiquement ces violations en ces temps troubles et que le Canada se range du côté du gouvernement israélien. C’est très difficile à justifier.

Comment le Canada explique-t-il cette décision ? « Lorsqu’il s’agit de votes à l’ONU, le Canada réitère l’importance d’une approche équitable. Nous continuerons de voter “non” sur les résolutions qui ne prennent pas en compte la complexité des questions ou des actions de toutes les parties. Nous restons également opposés aux critiques disproportionnées visant Israël », a écrit la porte-parole d’Affaires mondiales Canada dans un courriel envoyé en soirée lundi.

Le Canada déplore notamment qu’Israël soit visé par 16 résolutions chaque année alors que plusieurs pays voyous qui malmènent à qui mieux mieux les droits de leurs citoyens – on pense ici notamment à l’Arabie saoudite et au Venezuela – ne sont jamais inquiétés.

Cela peut justifier de ne pas soutenir toutes les résolutions sur le conflit israélo-palestinien, mais pas de bouder celle sur les colonies israéliennes au moment même où le Canada tente de rappeler la nécessité de respecter le droit international à tous les acteurs du Proche-Orient.

Faire des discours, c’est bien. Agir en conséquence, c’est toujours mieux.

À la mémoire de Vivian Silver

PHOTO AHMAD GHARABLI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La travailleuse humanitaire et militante pacifiste Vivian Silver, 74 ans, a été tuée lors d’une attaque du Hamas le 7 octobre dernier. On la croyait jusqu’ici prise en otage par le groupe islamiste.

Comme plusieurs, j’ai appris avec consternation la mort de Vivian Silver, une Canado-Israélienne qui s’est battue pour la paix au Proche-Orient pendant des décennies. On la croyait otage du Hamas depuis le 7 octobre, mais on a appris lundi soir que ses restes ont été identifiés par les autorités israéliennes. Dans une chronique au début du conflit, je l’avais imaginée à la table des négociations de paix lorsque les fusils et les bombes se seront tus au Proche-Orient. J’espère maintenant que la vie qu’elle a menée – et non pas la terrible mort qu’elle a connue aux mains de terroristes – guidera les pas de ceux qui la suivent.

Lisez ma chronique à son sujet Lisez l’entrevue de ma collègue Isabelle Hachey avec le fils de Vivian Silver