Personne ne pourra accuser Agnes Chow de manquer de courage. La militante prodémocratie de Hong Kong n’avait que 16 ans quand elle a commencé sa lutte, s’opposant à la décision des autorités hongkongaises d’imposer de nouveaux contenus « moraux » dans le curriculum scolaire. Lire pro-Chine communiste.

Deux ans plus tard, en 2014, la jeune femme à peine majeure est devenue une figure de proue de la révolution des parapluies, un mouvement qui s’opposait à l’ingérence chinoise dans les élections de Hong Kong, contrevenant au principe « un pays, deux systèmes » promis aux Hongkongais lors de la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine en 1997.

Pourquoi des parapluies ? Parce que les manifestants les utilisaient pour se protéger de gaz lacrymogène que les forces de l’ordre faisaient pleuvoir sur eux.

PHOTO WALLY SANTANA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des manifestants tentent de se protéger de gaz lacrymogène projeté par des forces policières lors d’une manifestation à Hong Kong en septembre 2014

Ensuite ? Agnes Chow a participé à la fondation du parti prodémocratie Demosistō et a essayé de se présenter aux élections législatives de 2018. En vain, les autorités l’ayant disqualifiée.

Avec ses plus proches collaborateurs, elle a été arrêtée en 2019, puis remise en liberté, avant d’être arrêtée de nouveau l’année suivante après l’adoption de la loi sur la sécurité nationale qui a eu pour effet de museler la contestation. Elle a passé près de six mois en prison. Sa remise en liberté a été assortie d’une pluie de conditions. D’autres accusations – notamment de collusion avec des forces étrangères – la rendant passible de prison à vie ont été ajoutées dans le cocktail.

Résultat : depuis sa sortie de prison, en juin 2021, Agnes Chow, qui a pourtant été de tous les combats pendant neuf ans, se taisait. Puis, soudainement, dimanche, son compte Instagram est revenu à la vie. Au grand bonheur de ses 334 000 abonnés qui n’avaient pas de nouvelles de la leader étudiante depuis 129 semaines.

Consultez le profil Instagram d’Agnes Chow

En deux messages écrits la veille de son 27e anniversaire, la jeune femme annonce qu’elle a quitté Hong Kong pour faire une maîtrise à Toronto cet automne et qu’elle ne compte pas se plier aux conditions des autorités hongkongaises qui l’obligent à se présenter à la police fin décembre. L’intimidation et la peur, ça fera, écrit-elle après avoir raconté que les autorités l’ont obligée à faire une visite d’une journée en Chine continentale – une journée de propagande « mur à mur » – avant qu’elle puisse récupérer son passeport.

Après une réflexion attentive, y compris en tenant compte de la situation à Hong Kong, de ma propre sécurité, de ma santé physique et mentale, j’ai décidé de ne pas y retourner [en décembre] et probablement de ne jamais y retourner pour le reste de ma vie.

Extrait d’une publication d’Agnes Chow

Elle ne veut plus être à la merci du régime qui pourrait lui retirer de nouveau son passeport à sa guise, la renvoyer en détention, l’obliger à dire et écrire des louanges pro-Chine contraires à ses convictions. « Si cela continue, mon corps et mon esprit vont s’effondrer, même si je suis en sécurité », écrit-elle.

Aveu d’échec, de lassitude ? Plutôt le contraire. En annonçant sa décision publiquement, Agnes Chow n’a pas jeté les gants de boxe. Elle les a remis. Les explications qu’elle a lancées sur le réseau social, accompagnées d’images zen, ont provoqué un tsunami d’indignation et de menaces dans les officines de Hong Kong et de la Chine continentale.

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Agnes Chow, à gauche, à sa sortie de prison, en juin 2021

La police de la région administrative a condamné publiquement la décision de la jeune femme, la qualifiant d’« action irresponsable » et la pressant de changer d’idée avant d’avoir à vivre comme une « fugitive pour le reste de sa vie ».

Le gouvernement en a rajouté une couche lundi, parlant des « actes honteux de [Mme] Chow » pour « échapper à ses responsabilités légales ». « Les fugitifs seront poursuivis à vie à moins qu’ils ne se rendent », avertissent-ils.

Habituellement, des menaces de ce genre pourraient être prises à la légère. Que peut faire un gouvernement étranger contre une étudiante à la maîtrise à Toronto ? Malheureusement, dans le cas de la Chine et de Hong Kong, nous savons d’ores et déjà que la répression ne s’arrête pas aux frontières du pays.

Parlez-en notamment au député conservateur Michael Chong qui a dénoncé l’intimidation des autorités chinoises à son endroit et à l’endroit de membres de sa famille à Hong Kong. Cet incident a mené à l’expulsion d’un diplomate chinois du pays et a contribué à la création d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère au Canada, présidée par la juge québécoise Marie-Josée Hogue.

Pour sa part, Human Rights Watch a décrié en septembre les méthodes chinoises pour faire taire les dissidents de Hong Kong en exil. Des récompenses de 1 million de dollars de Hong Kong (174 000 $ CAN) sont offertes aux informateurs prêts à aider Hong Kong et Pékin à mettre la main sur les protestataires qui ont quitté le pays. Dans la liste des personnes recherchées, on trouve Nathan Law, proche collaborateur d’Agnes Chow depuis le début. Ce dernier vit maintenant au Royaume-Uni.

L’arrivée d’Agnes Chow au Canada sera donc un test pour notre gouvernement qui affirme qu’il ne tolérera plus l’ingérence étrangère sur son territoire. Son courage doit être à la hauteur de celui de l’étudiante d’exception.