« Entendez-vous dans les campagnes / Mugir nos féroces soldats ? Ils viennent jusque dans vos bras / Enfanter des fils et engrosser leur compagne. »

Ah ! Difficile de ne pas réinventer La Marseillaise en écoutant la dernière conférence de presse d’Emmanuel Macron ! Un spectacle politique aux accents nationalistes pour lequel le président français a conscrit les grandes chaînes de télévision et l’attention de près de neuf millions de ses concitoyens mardi.

De quoi a-t-il été question ? De s’assurer que « la France reste la France » grâce, notamment, à un plan de « réarmement démographique ».

La formule militaire utilisée n’a pas manqué de frapper l’imaginaire et de soulever l’ire de bon nombre de féministes françaises. D’autant qu’il est question ici de promouvoir la hausse de la natalité dans l’Hexagone pour regarnir les rangs des citoyens français, qui, si on en croit une autre partie du discours, apprendront dorénavant l’hymne national et le respect de la République sur les bancs d’école.

Les militantes et politiciennes ont été nombreuses à noter qu’elles n’avaient pas de leçons de reproduction à recevoir d’un président de 46 ans qui n’a pas d’enfants.

On se croirait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que le général de Gaulle avait affirmé que la France – décimée par le conflit – avait besoin de « 12 millions de beaux bébés » en 10 ans. « Le manque d’hommes et la faiblesse de la natalité française sont la cause profonde de nos malheurs… Et l’obstacle principal qui s’oppose à notre redressement », avait dit le président français à l’époque.

On entendait le même discours dans la Russie de Joseph Staline et ailleurs dans l’Europe d’après-guerre qui se remettaient de la mort de 60 millions de personnes en l’espace de 6 ans. Vite, faites des bébés, l’avenir de votre pays en dépend ! La réponse a été au-delà des espérances. En France, le baby-boom s’est étiré de 1946 aux années 1970.

Mais de quel fléau la France doit-elle se remettre exactement en ce début de 2024 ?

Le président Macron a appuyé son discours sur les statistiques publiées le jour même par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). La France a donné naissance à 678 000 bébés l’an dernier, soit 6 % de moins qu’en 2022 et 20 % de moins qu’en 2010, note l’INSEE.

Pour contrer cette baisse, que propose l’ingénieur du réarmement natal ? Un « congé des naissances », qui est un autre nom pour un congé parental plus court et mieux payé que partageraient équitablement les deux parents ainsi que des mesures pour lutter contre l’infertilité, qui, en France comme ailleurs dans le monde, affecte une personne sur six.

Pas exactement des mesures rétrogrades…

On n’en est pas à une contradiction près dans ce discours d’Emmanuel Macron, qui, par les mots choisis, semblait s’adresser à l’aile conservatrice du pays – voire aux supporters du Rassemblement national de la droite radicale – tout en proposant des mesures semblables à celles que mettent de l’avant les gouvernements sociaux-démocrates.

Car, une chose est sûre, la France n’est pas la seule à s’inquiéter de son taux de fécondité, soit le nombre d’enfants par femme âgée de 15 à 50 ans. Le phénomène est mondial. Un rapport des Nations unies sur la question démontre que si, en 1986, seulement 19 pays avaient des politiques pour susciter un plus grand nombre de naissances, ce nombre avait grimpé à 55 en 2019. Et continue de grimper.

D’ailleurs, on parle d’une crise de fécondité qui touche surtout les pays riches, mais qui s’étend rapidement à des pays beaucoup moins fortunés.

Parmi les plus touchés, on retrouve tant le Japon, l’Espagne, Singapour et l’Italie que la Bosnie, Maurice, Porto Rico et l’Ukraine. Dans tous ces pays, le taux de fécondité est inférieur à 1,3 enfant par femme alors que le taux de remplacement est à 2,1. Le Canada n’est pas dans une bien meilleure posture avec un taux de fécondité qui est en dessous de 1,5.

Et la France dans tout ça ? Eh bien, le pays s’en sort mieux que tous les pays riches avec un taux de fécondité de 1,68 en 2023. Oui, c’est moins que le 1,79 de 2022, mais en se comparant, la France pourrait d’abord et avant tout se consoler. Même se donner une tape dans le dos.

Et c’est là que l’on doit parler de l’éléphant bleu-blanc-rouge dans la pièce. Le discours d’Emmanuel Macron ne parlait que des nouveaux bébés fabriqués en France pour faire face à l’immense défi qu’est le vieillissement de la population. Pas d’immigration, un thème qui crispe une bonne partie de l’électorat français, mais qui, combiné à des politiques familiales saines, est un incontournable pour résoudre le casse-tête des enjeux démographiques. Dans son éditorial en réponse au discours présidentiel, Le Monde plaide en faveur d’une « immigration calibrée » plutôt que de mettre uniquement le fardeau sur les épaules des familles.

Mais, semble-t-il, ça ne s’accorde pas très bien avec la version Macron d’un « réarmement ».