Grosse nouvelle mardi à Washington : une cour a déclaré que les États-Unis ne sont pas une monarchie.

Donald Trump s’est fait dire officiellement qu’il n’est pas au-dessus de la loi et doit répondre des crimes qui lui sont reprochés.

« Pour les fins de cette affaire criminelle, l’ancien président Trump est devenu le citoyen Trump, avec tous les moyens de défense de n’importe quel autre accusé dans une affaire criminelle », ont tranché unanimement les trois juges de la Cour d’appel du district de Columbia.

Un précédent, nous dit-on, car jamais, en deux siècles et demi d’histoire, aucun président n’avait été assez déviant pour être accusé dans quatre affaires criminelles. Aucune cour n’avait donc eu à se demander si un président jouit d’une immunité pour tout acte criminel commis pendant sa présidence.

La Cour suprême n’a pas non plus encore eu l’occasion jusqu’à maintenant de dire si la Terre tourne autour du Soleil, ou si c’est l’inverse. Ça semble aller de soi.

Les trois juges, qui ont entendu l’affaire d’urgence, ont donc rendu une décision de 57 pages tissées serré, pour expliquer l’évidence.

Un président jouit d’une immunité civile pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions : on ne peut pas lui réclamer des dommages pour une mauvaise décision, par exemple. Mais depuis longtemps, il est établi qu’un président doit répondre à des convocations de la cour pour des affaires criminelles – comme témoin, notamment. La cour note aussi que le président Gerald Ford a « pardonné » son successeur Richard Nixon pour l’affaire du Watergate. Pourquoi un pardon s’il y a immunité ?

L’argument central de Trump était qu’un président serait restreint dans sa marge de manœuvre s’il craignait d’être poursuivi ensuite. Par exemple dans des actes de guerre.

L’analogie ne tient pas, répond la cour : déjà, en pouvant être destitué (impeached), son pouvoir n’est pas illimité.

Les juges aussi jouissent d’une immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Mais, rappelle la cour, s’ils acceptent un pot-de-vin « dans l’exercice de leurs fonctions », ils commettent un crime et seront poursuivis.

Les avocats de Trump disaient qu’un président doit être d’abord destitué avant d’être poursuivi au criminel. Et que comme la destitution de Trump a échoué, ce serait lui faire subir un deuxième procès pour la même chose. Ce n’est pas la même chose du tout, dit la cour : l’impeachment est un procès politique et n’empêche aucun procès criminel judiciaire pour des faits similaires.

En 1882, la Cour suprême écrivait que dans ce pays, le « seul pouvoir suprême » est la loi elle-même, et que tous les représentants de l’État, du plus haut au plus bas, sont des « créatures » du droit, soumises aux limites.

Ce serait un paradoxe fulgurant que le président, ultime gardien des lois d’après son serment, soit le seul exclu de leur application.

Tout cela est magnifique. Mais déjà, cette demande d’immunité a permis de repousser le premier des quatre procès criminels à l’horaire. L’affaire de l’insurrection du 6-Janvier avait été fixée à la première semaine de mars à Washington. La juge l’a retirée.

Maintenant, en plus de demander une révision de cette décision par les 11 juges de la même Cour d’appel (avec zéro chance de succès), Trump peut évidemment s’adresser à la Cour suprême. Il a 45 jours pour le faire, ce qui nous mène à la fin de mars. Il faudra ensuite le temps à la Cour suprême de décider si elle l’entend (ce qui nécessite l’appui de quatre juges estimant la question suffisamment importante). Si elle est entendue, il faudrait que l’affaire soit entendue dans un temps record pour obtenir un jugement avant le 5 novembre.

Une importante portion des électeurs républicains (autour de la moitié, selon les sondages, y compris un pro-Trump sur quatre) disent qu’ils cesseront de l’appuyer en cas de condamnation. Sans surprise, un autre sondage montre que la majorité des Américains veulent un verdict avant l’élection.

Cette étrange année électorale est donc devenue un contre-la-montre politico-judiciaire. On croyait que la Cour suprême avait plongé à l’extrême dans la politique électorale dans l’affaire Gore contre Bush. On n’avait rien vu encore.

L’affaire est manifestement d’envergure historique pour justifier d’être entendue par la Cour suprême. Mais l’entendre vient déjà bouleverser le calendrier judiciaire et politique. En même temps, aucun expert ne s’attend à ce que la Cour suprême, aussi « à droite » soit-elle, donne raison à Trump sur cette question d’immunité. Elle pourrait passer son tour. Ou l’entendre en allant très vite. Ou faire comme d’habitude et décider dans un an, un an et demi…

En attendant, jeudi, la plus haute cour américaine devra commencer par dire si le nom de Trump doit être retiré du bulletin de vote pour cause de participation à une insurrection (je ne m’habitue pas à écrire ce genre de phrase).

Cette année sera aussi judiciaire que politique.