Il est loin, l’appel téléphonique que le général Valery Zaloujny a reçu du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en juillet 2021, interrompant les festivités de l’anniversaire de sa femme.

Ce jour-là, le comédien devenu chef d’État de l’Ukraine avait choisi de confier les rênes des forces armées à ce militaire d’expérience, mais qui avait encore des échelons à grimper. Un choix peu orthodoxe, mais qui allait se révéler salutaire lors de l’invasion russe de février 2022.

Mercredi, après deux semaines de rumeurs persistantes, c’est le même président qui a annoncé que Valery Zaloujny, qui s’est depuis vu attribuer le surnom de « général de fer », allait être remplacé comme commandant en chef des Forces armées ukrainiennes. En plein milieu d’une guerre qui piétine avec la Russie. Et alors qu’il est l’homme le plus populaire du pays, coiffant au poteau celui qui vient de lui montrer la porte.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est un pari risqué de la part du président ukrainien, qui a annoncé la nouvelle dans un discours télévisé de huit minutes ainsi que dans une publication sur X. Il y est vaguement question d’un besoin de renouveau à la tête des forces armées. Rien de bien convaincant.

« Le point faible de la décision de Zelensky, c’est qu’il n’explique pas pourquoi il l’a prise. Pourquoi il a viré un général qui faisait bien sa job », note Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa.

Au début de l’invasion russe, les deux hommes formaient une équipe hors pair. Pendant que le président Zelensky incarnait le courage de la population ukrainienne devant l’adversité et passait son temps à solliciter l’aide de ses alliés occidentaux, le général Zaloujny, lui, surprenait la planète entière en orchestrant la défense militaire du pays. Celle de David contre Goliath. Et il s’en sortait étonnamment bien.

Notamment, des décisions qu’il a prises dans les journées qui ont précédé l’invasion ont permis de défendre la capitale contre l’envahisseur qui rêvait de faire tomber le gouvernement ukrainien en quelques jours.

Au cœur de son succès, une approche novatrice, très loin des méthodes soviétiques, et ce, même si le général de 50 ans, fils d’un officier de l’Armée rouge, a été formé dans une école de cadets du régime communiste. « Il était très respecté par ses troupes. L’armée ukrainienne dans laquelle il a fait son ascension a été rebâtie par la base. Son leadership venait avec quelque chose d’informel qui a amené plus d’agilité dans les rangs », note Dominique Arel.

PHOTO SERVICE DE PRESSE PRÉSIDENTIEL UKRAINIEN, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le chef de l’armée de terre, Oleksandr Syrkyz, consultent une carte dans un poste de commandement de l’est du pays, en novembre dernier.

Rien à voir avec le chef de l’armée de terre, Oleksandr Syrkyz, qui le remplacera et qui est plus près de l’approche soviétique ultra-hiérarchique, ajoute l’expert.

Difficile de mettre le doigt sur le début de la brouille entre le président et le général, mais le 1er novembre dernier, il est devenu assez clair que quelque chose n’allait pas dans la war room (cellule de crise) ukrainienne.

Habituellement discret, le chef militaire a publié un essai dans The Economist et accordé une entrevue au célèbre magazine, prisé par les dirigeants politiques du monde entier. Selon son évaluation, le conflit russo-ukrainien est dans une « impasse » et se transforme en « guerre de tranchées et d’usure », comparable à la Première Guerre mondiale.

Ces déclarations ont été rendues publiques au moment même où Volodymyr Zelensky, dans son rôle de motivateur en chef, tentait par tous les moyens d’attirer la sympathie de l’Occident, qui, elle, avait tourné les yeux vers le conflit au Proche-Orient.

C’est un véritable faux pas pour un leader militaire qui est, après tout, au service d’un leader civil élu démocratiquement.

En le remerciant jeudi, le président Zelensky lui a rappelé qu’il est le commandant en chef suprême des forces armées. Et que cet ultime commandant, même s’il peut essuyer la critique derrière les portes fermées, ne peut accepter une telle dissidence sur la place publique.

Encore moins au moment où l’Ukraine a le vent en face plutôt que dans le dos. Parce que la Russie a repris des forces, mais aussi parce que le soutien occidental est de plus en plus difficile à obtenir. En témoignent les longs pourparlers au sein de l’Union européenne pour accorder une aide bonifiée à l’Ukraine cette semaine ainsi que les débats houleux au Congrès américain.

Bien sûr, plusieurs verront dans la décision de Volodymyr Zelensky une tentative de mettre à carreau un héros militaire qui lui faisait de l’ombre et qui pourrait potentiellement devenir son adversaire politique. À court terme, le départ du général de fer pourrait aussi avoir un impact tant sur le moral des troupes que sur la performance militaire du pays.

Cependant, on retiendra aussi de cet épisode qu’il ne peut y avoir deux paires de mains sur le gouvernail en pleine tempête.