Deux heures avant que leur fils de 15 ans tue quatre élèves de son école secondaire (en plus d’en blesser sept), Jennifer Crumbley et son mari ont été convoqués par la direction.

Personne, en ce 30 novembre 2021, ne se doutait qu’Ethan avait une arme semi-automatique chargée à bloc dans son sac. Mais des dessins étranges, et des mots écrits sur une page d’examen (« du sang partout »…), ont inquiété la direction de cette école du Michigan.

Dans le bureau de la direction, confrontés en sa présence aux agissements inquiétants d’Ethan, ses parents ont paru vaguement indifférents. Au lieu de ramener leur fils à la maison, ou même de lui demander des explications, ils sont restés passifs et ont quitté l’école. Il est retourné en classe. Le massacre a eu lieu deux heures plus tard.

Le fils, jugé comme adulte, est emprisonné à perpétuité pour homicides. La mère a été reconnue coupable mercredi d’« homicide involontaire », et pourrait être condamnée à 15 ans de pénitencier. Le procès du père aura lieu en avril. Ce sont les cas les plus récents et les plus spectaculaires de la criminalisation des parents pour les crimes de leurs enfants qu’ils auraient pu ou dû empêcher.

Car il existe au Michigan comme dans plusieurs autres États américains une loi instaurant la responsabilité criminelle des parents pour les crimes de leurs adolescents. On pourrait appeler ça le crime d’être un « mauvais parent ».

Dans ce procès, la procureure de l’État a démontré que plusieurs fois, les parents auraient pu faire des choses « tragiquement simples » pour empêcher la tuerie.

Il faut savoir que ce sont les parents qui ont acheté l’arme à l’adolescent – la possession d’arme pour un mineur est interdite au Michigan sauf sous supervision parentale, pour la chasse ou pour le tir de loisir ; Ethan était inscrit à un club de tir.

PHOTO MANDI WRIGHT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le procureur du comté d'Oakland, Karen McDonald, montre en cour l'arme utilisée par Ethan Crumbley lors de la fusillade du lycée d'Oxford, en novembre 2021.

La poursuite a aussi fait valoir que l’adolescent voulait consulter un psychologue, qu’il entendait des voix, bref, qu’il était très troublé. Les parents en étaient très conscients, mais n’ont rien fait. Leur négligence a atteint un degré « criminel » aux yeux de la loi locale.

Qu’en est-il ici ?

Une telle condamnation serait à peu près impossible au Canada.

Il y a une obligation civile de bien superviser et élever ses enfants. Les parents sont responsables des dommages causés par leur progéniture – en cas de poursuite parce que votre enfant a fait de la casse, il faut prouver que vous l’avez bien élevé.

Mais en aucun cas les crimes d’un enfant ne peuvent être imputés aux parents, même indirectement. À moins, bien sûr, qu’ils aient incité, conseillé, aidé ou planifié le crime avec l’enfant : ce serait de la complicité.

Il n’y a pas non plus d’obligation de dénoncer des crimes, y compris ceux de ses enfants.

C’est la même chose dans le droit criminel américain, qui a les mêmes racines. Mais depuis une trentaine d’années, pour répondre aux vagues de criminalité juvénile, des États américains ont décidé de rendre les parents responsables, avec sanctions pénales à la clé. L’idée, simpliste, étant qu’en craignant d’être poursuivi parce que son fils est dans un gang de rue, un parent l’encadrera mieux…

Il n’y a aucun équivalent au Canada.

Déjà, dans notre tradition de droit criminel, les tribunaux sont un peu réfractaires à condamner des gens pour des crimes d’omission ou de négligence. On accuse plus volontiers une personne pour ce qu’elle a fait de « mal » que pour ce qu’elle n’a pas fait de « bien ». Il est plus évident d’accuser une personne ayant volontairement fait exploser un réservoir de produits dangereux qu’une personne ayant mal entretenu un réservoir, au point de provoquer une explosion.

Il est toujours plus compliqué de prouver la négligence criminelle : à partir de quand laisser faire devient un crime ? Un simple oubli dans une mesure de sécurité peut causer une catastrophe et entraîner des morts. On peut penser à Mégantic : l’ampleur d’une tragédie ne prouve pas la négligence « criminelle ».

Dans le cas du crime d’un enfant, il faut prouver une négligence à empêcher une autre personne de commettre un crime.

Théoriquement, ce n’est pas totalement impossible. La Charte québécoise des droits crée une obligation pour tous les citoyens de « porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours ».

La négligence criminelle est le manquement à un devoir imposé par la loi. On pourrait donc dire que de ne pas faire ce qu’un « parent ordinaire » aurait fait pour superviser son enfant, quand on sait qu’il peut mettre la vie des autres en danger, serait une forme de négligence.

Mais c’est étirer le concept. La preuve, c’est qu’on n’a jamais vu de parents poursuivis ici pénalement pour les crimes de leurs enfants. Sans une loi criminelle spécifique, la chose est à peu près impensable.

On n’a d’ailleurs pas prouvé que ce genre de loi américaine protège qui que ce soit ou prévient le moindre assassinat, comme en témoignent les statistiques sur les tueries de masse aux États-Unis.

Les partisans du droit aux armes répètent que ce ne sont pas les fusils qui tuent ; ce sont les gens. On pourrait ajouter que ce ne sont pas non plus les parents des gens. Mais il est plus facile de traîner en justice les « mauvais parents » que les manufacturiers d’armes à feu.