C’est peut-être son sourire, son regard pétillant ou la couronne de fleurs roses qu’elle porte fièrement sur la photo. Ce sont peut-être ses appels aux services d’urgence, sa voix de petite fille suppliant de venir la sauver, elle, blessée et coincée dans une voiture, seule survivante au milieu des corps écroulés de ses proches. « J’ai tellement peur, s’il vous plaît, venez… »

C’est peut-être un mélange de tout cela. Toujours est-il que le monde a été bouleversé par la fin tragique de Hind Rajab, 6 ans, dont le corps a été retrouvé après plusieurs jours de recherches, samedi, à bord d’une voiture criblée de balles.

Une vie en moins à Gaza. Une parmi tant d’autres.

Le monde a été bouleversé, mais la vie de Hind Rajab ne valait pas plus que celle des milliers d’enfants palestiniens tués depuis le début de la guerre à Gaza.

Elle ne valait pas moins que celle des deux otages libérés des griffes du Hamas au petit matin, lundi, dans une opération militaire israélienne, à Rafah.

Elle valait tout autant que celle des 67 Palestiniens tués par les frappes aériennes destinées à couvrir la progression des soldats qui sont allés extraire ces deux otages de l’immeuble où ils étaient retenus prisonniers.

Toutes les vies humaines se valent. Du moins, c’est ce qu’on dit, même si c’est parfois un peu difficile d’y croire, depuis que le conflit fait rage au Proche-Orient.

Pour les Palestiniens qui s’entassent à Rafah, l’opération de libération des otages a été terrifiante. En pleine nuit, sous les bombardements aériens, ils étaient convaincus que l’invasion terrestre annoncée par Israël était commencée. Des réfugiés étaient pétrifiés, d’autres ont fait leurs bagages en catastrophe, prêts à évacuer. Mais pour aller où ?

La ville frontalière abrite désormais la moitié des 2,2 millions d’habitants de Gaza. Les plus mal pris vivent dans des tentes fabriquées avec les moyens du bord. Ils ont déjà été jetés sur les routes à plusieurs reprises. Rafah est leur destination finale. Au sud, l’Égypte a renforcé sa frontière, déterminée à ne laisser entrer personne. Et voilà qu’Israël leur demande d’évacuer à nouveau. Ils n’ont nulle part où aller. Nulle part où fuir cette maudite guerre.

Ils sont épuisés, ils ont faim et ils sont pris en souricière.

Benyamin Nétanyahou balaie du revers de la main les condamnations de la communauté internationale, y compris celles de la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, qui juge cette nouvelle évacuation forcée « inacceptable ». Les civils de Rafah, a-t-elle rappelé lundi, sont « des mères, des enfants, ce sont des gens qui ont des noms, qui ont leurs propres histoires ; bref, ce sont des êtres humains »1.

Le premier ministre israélien assure que l’invasion de Rafah n’aura lieu qu’après une évacuation ordonnée des civils, mais ne déroge pas à son objectif de guerre : libérer les otages toujours retenus à Gaza et éradiquer le Hamas, une fois pour toutes.

Ce sont évidemment les atrocités du 7 octobre qui expliquent la détermination d’Israël à pourchasser les membres du Hamas jusqu’au fond du dernier tunnel. Ce jour-là, 1200 Israéliens ont été violés, torturés et massacrés.

Attaqué de la sorte, n’importe quel autre gouvernement de la planète aurait, lui aussi, riposté avec force. Israël y a vu une menace existentielle, qu’il fallait éliminer à tout prix. Or, bien que l’État hébreu s’en défende, ce prix ressemble à une implacable punition collective infligée à l’ensemble des Gazaouis.

Dans la bande de Gaza, des quartiers entiers ont été rasés. Des universités et des hôpitaux ont été bombardés. Les médecins manquent de tout ; ils doivent parfois soigner les blessés sur le plancher sale, à froid. L’aide humanitaire entre au compte-goutte. Jusqu’à présent, 28 000 personnes2 ont été tuées ; des mères, des enfants, des gens qui avaient des noms, leurs propres histoires.

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La voiture dans laquelle les corps de Hind Rajab et des membres de sa famille ont été retrouvés.

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Si au moins Israël était assuré de vivre en paix, après avoir éradiqué le Hamas. Il risque plutôt de s’enliser dans les ruines de Gaza, comme les États-Unis se sont enlisés en Afghanistan et en Irak après le 11-Septembre.

Croit-on vraiment que de la destruction jaillira l’harmonie entre les peuples ? À court terme, l’État hébreu pourrait dissuader les combattants essoufflés de reprendre les armes. Mais à plus ou moins long terme, autant de souffrances ne pourra que nourrir l’extrémisme. Si Israël parvient à éradiquer le Hamas, un autre groupe radical naîtra de ses cendres. Et il aura le couteau entre les dents.

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Ce qui reste de l’ambulance qui avait été dépêchée sur les lieux.

La dépouille de Hind Rajab a été retrouvée aux côtés de celles de sa tante, de son oncle et de ses trois cousins. À quelques mètres, on a aussi retrouvé l’ambulance qui avait été dépêchée sur les lieux, ou du moins ce qu’il en restait : une carcasse de ferraille tordue.

À bord, les deux ambulanciers n’ont eu aucune chance. Le Croissant-Rouge affirme qu’il avait pourtant obtenu le feu vert de l’armée israélienne avant de procéder à l’opération de sauvetage à l’intérieur de cette zone de combat, dans la ville de Gaza.

Il faut savoir que le Hamas se sert d’ambulances pour transporter des armes et lancer des attaques. Ça explique peut-être la bavure qui a tué la fillette. Par sa conduite, le Hamas met en danger des ambulanciers et des civils en détresse. Pire, il met en danger l’ensemble des Gazaouis, dont il se sert comme boucliers humains.

Il faut également rappeler que c’est le Hamas qui a déclenché cette guerre, en espérant sans doute une riposte dévastatrice d’Israël. Il l’a eue. Mais il ne porte pas seul la responsabilité morale de ce qui se passe à Gaza. L’État hébreu a le devoir de mieux protéger toutes ces vies qui se valent assurément, mais qui, trop souvent, se perdent.

1. Lisez « Le plan de Nétanyahou est inacceptable, dit Mélanie Joly »

2. Le nombre de 28 000 morts à Gaza provient du ministère de la Santé de Gaza, contrôlé par le Hamas.